L'Arabie saoudite mise sur les investissements à l'étranger pour renforcer son influence
Le prince héritier Muhammad ben Salman ambitionne de faire de Riyad un pôle d'attractivité pour les entreprises étrangères.

L’économie saoudienne connait une croissance rapide, avec la libéralisation des marchés, moins de dépendance du pétrole et du gaz et un secteur privé en pleine expansion. Les entreprises publiques et privées du pays ont intensifié ces dernières années leurs campagnes à l'étranger alors que l'investissement devient l'outil privilégié du royaume pour le soft power au Moyen-Orient, et ce, conformément à la vision 2030 qui vise à diversifier l’économie de la monarchie.

« Les investissements étrangers ne sont pas un phénomène nouveau pour notre pays. Les plus importantes entreprises internationales sont présentes sur le marché saoudien... Aussi, je ne suis pas en train de m’ouvrir au monde ; je suis déjà ouvert au monde », avait déclaré le Prince héritier Muhammad ben Salman qui vise avec la vision 2030 d’assurer la transition du pays vers un nouveau modèle de développement économique, plus libéral et plus ouvert sur le monde, créateur d’emplois et de richesses. « Nous disposons, explique-t-il, de nombreux atouts exceptionnels inexploités. Et nous disposons également de secteurs spécialisés qui peuvent se développer très rapidement. »

« Avec ses importantes ressources naturelles, sa croissance et la plus grande base de consommateurs de la région, l’Arabie Saoudite offre en effet, un potentiel considérable pour les multinationales qui souhaitent élargir leurs activités dans de nouvelles régions, mais aussi pour les entreprises nationales », affirme Tristan Attenborough, Directeur pour l’Arabie Saoudite, gestion de trésorerie et de valeurs mobilières, J.P. Morgan Treasury Management International.

Augmentation des investissements étrangers

Sur le plan économique, le royaume a connu des années de forte croissance. En 2022, l’économie hors secteur du pétrole a enregistré une croissance avoisinant les 5%. L’Arabie saoudite attire ainsi des investissements directs étrangers grâce à des privatisations, au renforcement de la plus-value créée et de projets de grande envergure. Le pays mise notamment sur sa situation géographique, à la croisée des trois continents que sont l’Europe, l’Afrique et l’Asie.

La place économique est aussi compétitive en termes de coûts des matières premières, de la logistique et de l’électricité renouvelable. D’ici à 2030, plusieurs réformes permettront de mettre en place un approvisionnement énergétique durable, des industries locales et des secteurs de services. Les prochaines années, la part du secteur privé dans le PIB devrait ainsi passer de 40 à 65% et la richesse sous forme de gisements pétroliers sera utilisée pour développer une industrie pétrochimique.

Au cours des 11 premiers mois de 2022, les investissements étrangers des entreprises publiques et privées en Arabie saoudite ont totalisé un record de 22,6 milliards de dollars contre 2,2 milliards de dollars sur la même période en 2021, selon fDi Markets. Le Fonds d'investissement public (PIF), le fonds souverain du pays, a déployé 20,3 milliards de dollars en 2022, soit une hausse de 448,6 % par rapport à l'année précédente, selon une étude de Global SWF.

Une nouvelle stratégie

Ces niveaux croissants d'investissements étrangers indiquent un changement de cap dans la façon dont l'Arabie saoudite utilise ses ressources financières pour accroître et renforcer son influence sur la région et sur le monde musulman en général.

Depuis les années 1970, le royaume a injecté des milliards dans des pays ciblés par le biais de dépôts ou de prêts auprès de la banque centrale. Son rôle de développement au Moyen-Orient et dans le monde islamique est considérable, et son aide accordée aux pays à majorité musulmane éclipse celle qui afflue vers les pays à majorité chrétienne d'Asie et d'Afrique, selon les chiffres du Fonds saoudien pour le développement (SfD), recoupées avec des statistiques du Pew Research Center, un groupe de réflexion non partisan basé aux États-Unis, axé sur les questions sociales, l'opinion publique et les tendances démographiques.

L’exemple du Pakistan est sans doute le plus représentatif de ce changement de stratégie. Le 10 janvier, le prince saoudien Mohammed ben Salmane a demandé au pays d'envisager d'augmenter ses investissements dans « la République islamique sœur du Pakistan » d'un chiffre précédemment annoncé de 1 milliard de dollars à 10 milliards de dollars, selon l'agence de presse saoudienne.

Madiha Afzal, membre du programme de politique étrangère de la Brookings Institution, affirme que l'Arabie saoudite est « depuis longtemps venue en aide à son ami, le Pakistan, en le sortant de ses ennuis ». La différence, ajoute-t-elle, c'est que l'Arabie saoudite a déclaré qu'elle « changeait de modèle, recherchait des investissements au lieu d'accorder des prêts, et exigeait des réformes en retour ».

Et pour preuve, alors que les investissements sortants augmentent, le SfD a enregistré une baisse des accords de prêt signés, selon les derniers chiffres, passant d'un total de près de 4 milliards de SR (1 milliard de dollars) en 2017 à 281 millions de SR en 2021.

Une diplomatie plus puissante

Neil Quilliam, chercheur associé au programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House au Royaume-Uni, note que désormais « les Saoudiens veulent jouer un rôle diplomatique plus important » et souhaitent « investir pour renforcer cette influence ».

Cela se produit où le pays rattrape d'autres États du Golfe, tels que les Émirats arabes unis, qui ont étendu leur influence dans la région au Pakistan, à l'Inde et notamment à Israël , dit-il.

Le PIF a annoncé l'année dernière qu'il investirait 24 milliards de dollars par le biais de sociétés d'investissement dans six États arabes : Bahreïn, Irak, Jordanie, Oman, Soudan et Égypte. Le fonds cible des secteurs tels que les infrastructures, l'immobilier, l'exploitation minière, la fabrication et les services financiers. Ailleurs, les fonds souverains du Golfe ont augmenté leurs investissements dans un contexte d'incertitude sur les marchés.

Vers un nouveau modèle de développement économique

Lors du Forum économique mondial qui s'est tenu du 16 au 20 janvier à Davos, en Suisse, Mohammed al-Jadaan, le ministre saoudien des Finances, a déclaré que le pays « changeait la façon dont nous fournissons l'aide au développement ».

«Nous avions l'habitude d'accorder des subventions et des dépôts directs sans conditions et nous changeons cela. Nous travaillons avec des institutions multilatérales pour dire que nous devons voir des réformes », a-t-il déclaré le 18 janvier.

Monica Malik, économiste en chef à la Abu Dhabi Commercial Bank, affirme que cela est conforme à l'objectif du gouvernement de jouer un rôle plus important dans le développement. « L'Arabie saoudite a réorienté son aide dans la région pour qu'elle soit davantage axée sur les réformes. Ce n'est plus « sans conditions » ; ils ont besoin de voir des résultats », souligne-t-elle.

Grâce à la carte d’investissement, l’Arabie saoudite entend ainsi muer pour devenir une économie durable qui ne s’appuie pas uniquement sur ses exportations de pétrole. Raison pour laquelle l’ensemble des efforts visent de plus en plus à améliorer l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers.