Homme/femme : Je t’aime, moi non plus !
Hommes et femmes sont tiraillés entre leur attirance et leur rivalité réciproques

Pourquoi les hommes et les femmes marocains ont-ils tendance à conflictualiser leurs rapports ? Est-ce « génétique » ? Culturel ? Educatif ? Question de différence naturelle ou insidieuse manipulation des médias et autres réseaux sociaux ? Avis de spécialistes  



Fracture

Il a suffi d’ébruiter le jugement de l’affaire de tutelle de l’actrice Jamila El Haouni, pour déclencher un débat des plus houleux sur les réseaux sociaux. Accorder la tutelle légale de son fils à l’actrice (même si ça s’avère une fausse information) par le tribunal, a aussitôt départagé la toile.

Entre ceux qui défendent les droits des mères divorcées et ceux qui ne jurent que par la sacralité de l’autorité du père, les joutes verbales sur les réseaux sociaux sont tellement révélatrices. Des commentaires, des attaques et contre attaques, qui au-delà de l’affaire opposant El Haouni à son ex l’acteur Amine Ennaji, laissent entrevoir la profonde fracture. Une relation extrêmement conflictuelle entre hommes et femmes marocains qui a trouvé, une fois de plus, un prétexte pour éclater.

Ennemis intimes !

« Tout a été étudié dans cette affaire ! On a donné la parole uniquement à cette femme pour la conforter dans le rôle de la victime comme d’habitude et le père a été par contre diabolisé à souhait pour influencer l’opinion publique», « La femme, à son accoutumée, dramatise, s’apitoie, pleurniche... et l’homme en bouc émissaire subit en silence. On veut détruire les dernières valeurs de la famille marocaine et briser les fondements de la société marocaine en ôtant à l’homme son autorité et en propulsant la femme à la tête de la famille »... Ce sont là des exemples de publications postés par des hommes en colère et inondant les réseaux sociaux depuis hier.

N’ayant guère la langue dans la poche, les femmes ripostent avec virulence. « Si les hommes pouvaient faire de bons pères, les mères ne seraient pas là à assumer leurs responsabilité à leur place. Un père absent, irresponsable n’a pas le droit d’avoir la tutelle de son enfant », « Les hommes d’aujourd’hui sont des incapables finis sans cœur ni attachement. Comment vouloir avoir son mot à dire dans la vie et l’avenir de ton enfant lorsque tu l’abandonne après le divorce ? »... répondent sans ménagement des internautes désabusées.

Attirance et conflit

Des accusations réciproques qui dévoilent une profonde rivalité sous jacente entre le clan des hommes et celui des femmes. Mais pourquoi donc cette division et ce retranchement dans des positions antinomiques lorsqu’il s’agit de sa supposée « moitié » ? « L’homme et la femme marocains n’échappent pas au schéma classique de cette relation caractérisée depuis la nuit des temps, par l’attirance et le conflit », nous explique Mehdi Boussaid, chercheur en sociologie. D’après ce dernier, les hommes et les femmes s’attirent grâce à leur différence. « La femme a des qualités que l'homme n'a pas et vis versa. Résultat : Ils se cherchent de tout temps mués par ce besoin de se compléter et de combler leurs manques réciproques », ajoute le chercheur.

cerveau


« Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus », le titre du livre signé par l’américain John Gray, trouve d’ailleurs tout son sens dans les résultats des recherches scientifiques sur cette différence. Ainsi, l'homme et la femme ne seront pas constitués physiologiquement de la même manière. Explication ? Le cerveau gauche est en effet plus développé chez la femme tandis que celui droit est plus développé chez l'homme.

« Cela explique le fait qu’ils ne réagissent pas de la même façon : La femme est toujours plus émotionnelle. Elle partage plus aisément son ressenti et en parle plus ouvertement alors que l'homme verse plutôt dans le domaine de l’action et du concret », nous explique la psychologue Nadia Mouatassim. « Une différence de taille qui au début d’une relation, constitue un atout de séduction et d’attirance avant de se transformer par la suite, à l’épreuve du quotidien, en un déclencheur de conflit » explique la praticienne.

Guerre sans répit

Mais est-ce là la seule cause de cette « haine » et ce « ressentiment » qui éclatent violement sur les réseaux sociaux après chaque affaire opposant homme et femme dans la vie réelle ? Est-ce l’explication de cette « guerre des genres » qui ne connait pas de répit et qui est perpétuellement alimentée par des débats passionnés à propos des droits des uns et des autres ?

« La guerre des sexes a connu différentes étapes tout au long de l’Histoire. A l’ère où l’homme détenait le pouvoir absolu et la femme était soumise, il y avait déjà une guerre froide qui se manifestait par des actes insidieux de part et d’autre », nous explique auparavant Dr Mostafa Massid, psychologue clinicien. « Avec l’apparition des droits de l’homme et l’émancipation féminine, on assista alors à une guerre des sexes menée par des mouvements qui se disent féministes ou masculanistes », ajoute le psychologue en analysant les motivations de la version marocaine du mouvement anti-féministe Red Pill.

fille garçon


D’après ce dernier, le contexte marocain, en particulier et arabo musulman, sont nettement marqués par ce marasme social. « Si les réseaux sociaux représentent un espace de partage d'idées et de discussions, ils favorisent aussi les « manifestations » abusives tels la diffamation, le harcèlement. La grande animosité entre genres dans le contexte marocain n’a fait que trouver un espace propice à sa déflagration sur la toile », note le spécialiste. Une fracture entre homme et femme qui a toujours existé aussi bien chez nous qu’ailleurs comme l’affirme Dr Massid. « La cause étant souvent une religion mal interprétée, un héritage ancestral et des croyances erronées dont plusieurs d’entre nous n’arrivent pas à s’en défaire. Ceci sans parler de l’influence des autres cultures favorisée par la grande ouverture virtuelle », ajoute-t-il.

Lourd héritage

Méconnaissance, irrespect, manque de confiance en soi et en l’autre, désamour... D’après la coach de couple Maria Bichra, le fossé entre homme et femme est élargi davantage par les préjugés. « Il ne faut pas négliger l’héritage familial et culturel dans ce cas de figure. Chaque individu a une histoire sentimentale personnelle qui est en rapport étroit avec son éducation. Chacun a un model parental qui influencera ses relations futures avec le sexe opposé. Ce sont des valeurs qui sont transmises par les aînés de la famille (père, mère, grands parents...) et qui dicteront son comportement avec autrui », simplifie Bichra.

réconciliation


Des idées reçues dans le milieu familial, à l’école, dans la rue, à travers les médias et aujourd’hui via les réseaux sociaux et qui influencent forcément le regard et le mode de pensée des hommes et des femmes. « Sur les réseaux sociaux, les anomalies prennent de l’ampleur car largement et librement partagées. Elles sont exaltées par l’effet de meute. Parfois, on est influencé par les mauvaises personnes et les « mauvaises » idées nourrissant er se nourrissant de conflits entre genres », regrette la coach.

Une éventuelle réconciliation homme/femme est-elle envisageable au vu de ces circonstances ? « Pour la femme, se défaire des schémas traditionnels (hérités de la mère et la grand-mère) qui provoquent les conflits avec l’autre et avec soi même. Pour l’homme, évoluer en s’éloignant des rapports de force et des bras de fer imposés par le traditionnel schéma dominant/ dominé. Dans une société et un couple modernes, on est une équipe aux rôles bien définis et non pas des adversaires », résume Maria Bichra.