Elections turques. Qui est Kemal Kiliçdaroglu, le grand rival d’Erdogan?
Kemal Kiliçdaroglu. Sur les pays de Mustapha Kemal

Kemal Kiliçdaroglu, candidat de l'alliance de l'opposition turque à la présidentielle du 14 mai, promet s'il est élu de rompre avec l'ère du président Erdogan. "J'apporterai le droit et la justice à ce pays. J'apporterai l'apaisement", a-t-il promis la semaine dernière.

Cet ancien haut fonctionnaire de 74 ans dirige le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) depuis 2010. Son entrée en campagne lui a permis d'imprimer un nouveau style.

Chaque soir ou presque, il délivre sur les réseaux sociaux une vidéo tournée depuis son bureau, son salon ou sa cuisine, celle de monsieur Tout-le-Monde avec son frigo couvert de magnets et ses torchons à fleurs, loin des dorures du palais présidentiel.

Plusieurs sont devenues virales: fin avril, il bouscule un tabou en évoquant face caméra son appartenance à l'alévisme, une branche hétérodoxe de l'islam que certains sunnites rigoristes jugent hérétique. Son message sera très largement salué.

Premier opposant au président recep Tayyep Erdogan, il se pose aussi en "Monsieur Propre" de la politique turque, dénonçant depuis des années la corruption qui gangrène selon lui les sommets de l'Etat.

Kemal Kiliçdaroglu promet qu’une fois élu, il ne résidera pas dans le palais fastueux de 1.100 pièces bâti par Erdogan auquel il préfère le palais présidentiel historique de Çankaya. En plus, il affirme qu’il continuera à payer ses factures d'eau et d’électricité, comme tout le monde.

Le candidat Kiliçdaroglu s'engage aussi à ne pas confisquer le pouvoir: après avoir "restauré la démocratie" et limité les pouvoirs du président, il rendra son tablier pour s'occuper de ses petits-enfants, assure-t-il.

"Je ne suis pas homme d'ambitions", affirmait-il en avril au magazine Time.

"Je suis Kemal, j'arrive !"

Depuis qu'il a pris la présidence du CHP, fondé par le père de la Turquie moderne Mustafa Kemal Atatürk, il a transformé la ligne du parti en gommant notamment son image très laïque.

Fin 2022, il a ainsi proposé une loi pour garantir le droit des femmes turques à porter le foulard, offrant des gages à l'électorat conservateur.

Le candidat, né dans une famille modeste de la province historiquement rebelle de Dersim (rebaptisée Tunceli, en Anatolie orientale) à majorité kurde et alévie, tente en parallèle de séduire les Kurdes, dont beaucoup le surnomment affectueusement "Piro", mot kurde pour évoquer un grand-père ou un chef religieux alévi.

Le président Erdogan l'affuble, lui, du surnom "Bay Kemal" ("Monsieur Kemal"), en utilisant pour s'en moquer le terme "bay" traditionnellement réservé aux étrangers.

Depuis le début de la campagne, le chef de l'Etat l'a rebaptisé "Bay Bay Kemal" (prononcé "Bye Bye Kemal"), affirmant que les Turcs "l'enterreront" avec leur vote au soir du 14 mai, en dépit de multiples sondages plaçant M. Kiliçdaroglu en position de favori.

On doit à et économiste de formation, nommé à la tête de la puissante Sécurité sociale turque dans les années 1990, la double victoire en 2019 de candidats du CHP aux élections municipales à Istanbul et Ankara, grand revers pour Recep Tayyip Erdogan et son parti.

Fort de ce succès, le chef du CHP est parvenu cette année à unir derrière lui six formations de l'opposition et à s'adjuger en prime le soutien du principal parti prokurde.

Il sait aussi s'entourer: les très populaires maires CHP d'Istanbul et d'Ankara, Ekrem Imamoglu et Mansur Yavas, qu'il veut nommer vice-présidents, le suivent presque partout dans ses déplacements de campagne.

Kemal Kiliçdaroglu doit d'ailleurs au maire d'Istanbul la signature de ses meetings, le "coeur avec les doigts", qu'il adresse à ses partisans, les yeux plissés de malice.

Le candidat de l'opposition, dont l'un des coups d'éclat est la longue marche de 420 km qu'il a menée en 2017 entre Ankara et Istanbul pour dénoncer l'incarcération d'un député de son parti, aime prôner la patience.

Une de ses affiches de campagne sonne toutefois aux oreilles de ses partisans comme la fin d'une longue attente: "Je suis Kemal, j'arrive !"

Avec AFP