Rachid Benali : « L'agriculteur ne perçoit qu'entre 20 et 25% du prix payé par le consommateur»
Rachid Benali, président de la COMADER.

Dysfonctionnements dans les circuits de distribution des fruits et légumes, contraintes auxquelles sont confrontés les producteurs, augmentation excessive des prix des produits sur le marché local, qualité insatisfaisante... Le président de la COMADER, Rachid Benali, répond aux questions de l’Observateur du Maroc et d’Afrique.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Que pensez-vous des nombreuses lacunes identifiées par le Conseil de la concurrence dans son récent avis sur la situation concurrentielle des processus de distribution et de production de fruits et légumes ?

Rachid Benali. En effet, cette étude met en évidence les véritables défis, en particulier ceux liés aux marchés de gros. Elle souligne également les obstacles rencontrés par les producteurs, tels que les pratiques spéculatives et le gaspillage des produits après la récolte, qui peut atteindre jusqu'à 30% voire 40%. Il est urgent de réformer les marchés de gros pour améliorer les processus et réduire les pertes, ce qui pourrait potentiellement entraîner une baisse des prix pour les consommateurs et une amélioration des rendements pour les producteurs.

Les prix sur le marché ont considérablement augmenté ces dernières années. Et ils ne baissent pas malgré diverses mesures mises en place. Quelle est la véritable source du problème ?

L'étude du Conseil de la Concurrence a mis en lumière une réalité préoccupante : les écarts parfois significatifs entre le prix perçu par le producteur et celui payé par le consommateur sont souvent attribués aux inefficacités des circuits de distribution actuels. Il est crucial de comprendre que ce problème ne réside pas du côté du producteur lui-même. En effet, les prix sont restés pratiquement stables depuis 2014-2015. Persister à exercer une pression sur les agriculteurs risque d'entraîner des conséquences graves, étant donné la fragilité de cet écosystème.

Déjà, les agriculteurs subissent des pertes financières importantes et sont confrontés à plusieurs contraintes, notamment le changement climatique et l'augmentation des coûts des intrants agricoles, y compris le carburant et la main-d'œuvre. Lorsqu'on examine le ratio entre ce que l'agriculteur perçoit dans un prix donné, généralement entre 20 et 25%, et le reste, il est clair que la majeure partie ne lui revient pas. C'est pourquoi je souligne qu'à chaque pression sur les prix, c'est principalement l'agriculteur qui en pâtit. Par exemple, si un produit est vendu à 5 dirhams, l'agriculteur ne reçoit souvent qu'environ 1,5 dirhams. Il est donc impératif d'intervenir.

L'intermédiation est-elle la principale source de difficultés ?

En réalité, ce n'est pas tant l'intermédiaire lui-même qui pose problème, mais plutôt les spéculateurs. Ces derniers arrivent sur le terrain avec des liquidités et achètent les produits dès la phase de floraison, alors qu'auparavant, les achats se faisaient à la sortie de la ferme, une fois les cultures prêtes. Ce changement de pratique est source d'une grande préoccupation. La problématique dépasse largement le simple marché de gros, qui n'est que la partie visible de l'iceberg. Elle commence dès le départ. Malgré les subventions accordées par Sa Majesté le Roi pour soutenir les agriculteurs, ces derniers peinent à en bénéficier. De plus, dès l'annonce de ces subventions, les prix ont grimpé de 15 000 dirhams par hectare. Ainsi, nous restons piégés dans un cycle préjudiciable. Malheureusement, l'agriculteur demeure le maillon faible, subissant les conséquences de cette situation.

Quels autres moyens ou actions pourraient être envisagés pour améliorer la situation dans le secteur agricole ?

En ce qui concerne les solutions pratiques, il est impératif de réexaminer plusieurs aspects fondamentaux. Cela englobe la refonte du système de commercialisation, la normalisation des produits pour assurer leur disponibilité sur le marché, et l'injection de capitaux dans cette filière. Mobiliser des fonds est essentiel, que ce soit par le biais d'investissements ou d'autres moyens, pour soutenir cette industrie qui manque cruellement de ressources. Il est inacceptable qu'une seule banque finance l'ensemble du secteur agricole, d'autant plus lorsque l'on constate que les crédits accordés à ce secteur ne représentent que 1,5% du total des crédits, alors que son PIB est de 14 à 15%. Cette disparité financière doit être rectifiée.

La normalisation revêt également une importance capitale. Il est incompréhensible que nous puissions exporter des produits correctement emballés, conditionnés et conservés au froid à l'étranger, tandis que nous négligeons la qualité des produits destinés au marché local. Les citoyens marocains méritent des produits de qualité équivalente à ceux exportés, et il est essentiel d'exercer une pression pour garantir cela. Cette problématique est particulièrement critique dans des secteurs tels que l'huile d'olive et la volaille. Il revient non pas à l"État ou aux institutions de réguler cela, mais plutôt au consommateur lui-même. Nous devons encourager un consommateur exigeant et conscient de ses choix.