Archéologie. A quoi ressemblait la vie à Oued Beht il y a 5000 ans ?
Le complexe agricole préhistorique découvert non loin de Khémissat était entouré de terres fertiles irriguées par Oued Beht.

Au Maroc, la découverte du complexe agricole de Oued Beht vieux de 5 000 ans par des archéologues étrangers bouscule les connaissances sur le degré de complexité du Nord-Ouest africain à la fin du néolithique et sur ses interactions avec la péninsule Ibérique ; et dévoile ainsi de nouvelles données sur l’Histoire antique du Royaume.

Comparable en taille à ce qu’était la ville de Troie au début de l’âge du bronze, le village agricole du néolithique découvert non loin de Khemissat, est l’un des plus anciens et des plus vastes d’Afrique. Il était entouré de terres fertiles irriguées par Oued Beht, « la production de céréales et de céramique y était intensive », ce qui prouve que son système de fonctionnement était ultra sophistiqué, estiment les archéologues.Des liens avec l’Ibérie« Selon l’équipe internationale à l’origine de cette découverte, il s’agit du plus ancien et du plus vaste complexe ayant servi à la production et au stockage de denrées en Afrique à cette période, en dehors de ceux précédemment identifiés dans la vallée du Nil », fait savoir Abdeljalil Bouzouggar, le directeur de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap).Cela voudrait dire que pendant que certaines civilisations émergeaient, comme l’Égypte qui à l’époque, n’avait pas encore entamé sa période pharaonique, Oued Beht était une société agricole prospère qui entretenait des relations transméditerranéennes avec la péninsule ibérique.Une agriculture intensiveLes vestiges récupérés par les chercheurs contenant des restes de plantes cultivées et d’animaux domestiqués, prouvent que les pratiques agricoles étaient déjà bien établies à l’époque.Parmi les objets découverts sur le site préhistorique autrefois boisé, on retrouve également des objets en céramique, des artefacts lithiques, 3.368 pierres taillées, 50 haches et herminettes, et 1.295 tessons de poterie. Des éléments qui témoignent du savoir-faire technique et du développement social de cette société antique.On sait que depuis les années 1930, les haches en pierre polie étaient utilisées pour l’abattage des arbres, les meules elles, étaient destinées au broyage des céréales. L’économie de ce système agricole reposait donc essentiellement sur la production alimentaire puisque les signes de cueillette et de chasse ne sont pas nombreux.
Pierres taillées découvertes sur le site préhistorique de Oued Beht.
La découverte de fosses et d’une cinquantaine de silos sur la parcelle inspectée (400 m2), utilisés probablement, selon les archéologues, pour le stockage du blé et de l’orge, laisse présager un nombre bien plus important. Ce qui constituerait « la preuve d’une agriculture intensive ».Ressemblances entre le Nord du Marocet le Sud ibériqueLa culture du silo, avancent les chercheurs, se retrouve à la même époque de l’autre côté de la Méditerranée, de l’ouest de l’actuelle Andalousie (l’Alentejo portugais). La tradition de la poterie peinte, qu’on retrouve au nord du détroit de Gibraltar, fait penser aux différents récipients en céramique découverts à Oued Beht.Ces similitudes entre le Nord marocain et le Sud de l’Ibérie ne datent pas d’hier.Dans le sud de la péninsule Ibérique, la présence d’objets en œuf d’autruche ou en ivoire témoignait déjà de connexions anciennes avec le continent africain. Ce qui est surprenant, c’est que les résultats des fouilles récentes menées sur le site de Oued Beht modifient la donne surtout concernant la chronologie de ces échanges commerciaux entre le Nord-Ouest africain et la Méditerranée occidentale. « Avec les débuts de la navigation en haute mer vers 2 400 av J.-C., on pensait qu’ils dataient d’une époque plus récente mais c’est en fait 1000 ans avant qu’ils ont débuté », avance certains chercheurs qui n’écartent pas des liens avec la Méditerranée orientale, comme Chypre par exemple.Cette hypothèse pourra être vérifiée lors de la prochaine campagne de fouilles plus approfondies à Oued Beht, prévue en février 2025.En attendant, les archéologues qui ont participé aux fouilles ont conclu à la fin de l’article paru dans la revue Antiquity qu’: « Il est crucial de reconnaître Oued Beht comme une communauté spécifiquement africaine qui a contribué de manière substantielle à la formation du monde social des deux côtés de la Méditerranée ».