Les décisions politiques riment-elles avec la rationalité économique ?

Par : Loubna Mountassir

RATIONALITÉ Le Maroc n’a pas été épargné par les effets contagieux de la crise économique qui ronge ses principaux partenaires commerciaux. En conséquence, le Pays a fait face à la nécessité de prendre des décisions économiques dont la rationalité peut parfois sembler discutable.

Les années 1990 représentent par excellence la décennie de la propagation de politiques économiques axées sur le marché et de la mise en oeuvre d'expériences de déréglementation et de privatisation ayant débuté plus prématurément aux Etats- Unis dans les années 1970. Mais elle a aussi été une décennie de faillites bancaires et de crises économiques majeures, notamment en Asie et qui puisent leurs racines profondes dans les échecs financiers globaux. La crise financière de 2008 a mis en évidence la reprise des pratiques de réglementation résultant d’une dégénérescence économique à la suite de trois décennies d'orthodoxie néolibérale. Les banques centrales des pays de l’OCDE ont travaillé conjointement pour réorganiser un secteur bancaire au bord de l’effondrement. Les gouvernements, les autorités de surveillance nationales et supranationales ont fourni un soutien financier et technique conséquents aux institutions financières et aux acteurs économiques en difficulté, et ont mis en place de nouvelles procédures réglementaires afin de réorienter le marché vers sa vocation première : financer le développement de l’économie réelle. Il est aussi évident qu’en temps de crise, plusieurs difficultés, existantes au préalable, semblent soudainement prendre plus d’ampleur, un peu comme lorsque la marée basse en se retirant à chaque mouvement de vague, laisse entrevoir des éléments inattendus.

Toutes les expériences post-crise démontrent que les états ont tendance à réagir à chaud et de manière similaire pour tenter de contenir l’hémorragie causée. En effet, l’un des premiers réflexes d’urgence consiste à protéger les acquis économiques les plus sensi-bles. Au Maroc, comme dans la majorité des économies émergentes, l’aide aux PME constitue le fer de lance des politiques de soutien à l’économie car elles représentent l’épicentre des retournements de conjoncture de par leur contribution au développement économique, à la création d’emploi et au commerce extérieur. Dans ce cadre, la création de nouveaux canaux de financement des PME depuis le début des années 2000 semble aujourd’hui avoir atteint ses limites, et l’exemple de la création d’un 3e compartiment par la bourse de Casablanca est assez significatif. En effet, les conditions d’éligibilité des entreprises y sont assez larges et permettent en principe aux plus petites structures d’accéder à davantage de modes de financement. Or, le reclassement annuel effectué par la bourse a servi de véhicule de transfert indirect vers le 3e compartiment d’entreprises de tailles plus conséquentes ayant vu leurs conditions minimums altérées par la conjoncture.

Ainsi, le 3e compartiment créé initialement dans le but de soutenir le financement des PME se retrouve involontairement saturé par une autre catégorie d’émetteurs. Parallèlement, en termes de protection des intérêts économiques stratégiques, le démantèlement douanier bien que bénéfique à plusieurs égards, ne fait pas forcément pencher la balance du côté marocain. L’étude présentée par l’Institut Royal des Etudes Stratégiques en novembre 2012 a pertinemment mis en exergue la propension historique du Maroc à établir des accords de libre échange avec des pays développés, fortement compétitifs créant de facto un déséquilibre au niveau des rapports commerciaux. L’étude a également pointé du doigt l’insuffisance en matière de gouvernance des ALE et la suprématie des considérations politiques sur les intérêts économiques. La sidérurgie marocaine, à titre d’exemple, a bien souffert d’un dumping déguisé. Le 20 novembre 2012, le ministère de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies a reçu un rapport précis effectué par Maghreb Steel, dénonçant la vente à perte de tôles laminées à chaud provenant de l’Union Européenne et de la Turquie.

En tout état de cause, même en faisant fi de l’aspect conjoncturel de la chose, le raisonnement développé auparavant demeure valable, mais cette fois-ci, en inversant la donne. En effet, c’est l’excès de réglementation ou plus précisément de la tournure hautement formelle, voire archaïque que prennent les procédures administratives qui créent un effet dissuasif vis à vis des investisseurs autant nationaux qu’étrangers et ce, malgré la création de centres régionaux d’investissement. La multiplication d’interlocuteurs administratifs ne constitue pas, quant à elle, un gage de confiance dans la création d’un cadre propice à l’investissement. De plus, à l’ère du numérique, blocages administratifs et investissement devraient en principe devenir antinomiques. Sur un registre totalement différent, l’exemple de l’effet mécanique créé par la dynamique du déficit budgétaire qui évolue de pair avec le creusement de la dette publique ne cesse de rappeler l’effet d’éviction provoqué par l’Etat. La rationalité économique n’accepte guère de compromis, et les biais qui peuvent en affecter l’accomplissement sont à la fois d’ordre politique, diplomatique, psychologique ou sociaux et émanent généralement d’une divergence d’intérêts relative.

Ce qui est rationnel pour un acteur ne l’est peut être pas pour un autre. Au final, qui peut bien juger de la capacité des politiques à gérer les affaires économiques ou de l’aptitude des financiers à manipuler les subtilités politiques ? Les deux mondes sont en réalité imbriqués et indissociables où l’homo politicus et l’homo oeconomicus se critiquent mutuellement et se heurtent (exemple de la CGEM et de son boycott de la rencontre Maroc-Turquie organisée lors de la visite officielle du chef de gouvernement Recep Tayyip Erdogan). Ils peuvent également joindre leurs forces dans le cadre de solides partenariats publicprivé afin de donner naissance à des projets structurants à l’instar du projet Tanger Med qui en demeure l’un des exemples les plus accomplis. La rationalité, des actions et décisions des hautes instances décisionnelles supranationales, est en somme largement conditionnée par la raison politique. Le marché finira–t-il un jour par reprendre possession de ses propres prérogatives ? russian english letters