Libre cours

Par Naïm Kamal

Pendant 25 ans son ombre pesante a plané sur l’Algérie. Pour épaissir le mystère, on ne lui connaissait pas de visage, la publication de sa photo était interdite par un décret tacite. Pour tout dire de lui, on disait que c’était Robb Djazaïr. Robb, dans la traduction ça peut être de façon égale patron, maître ou dieu. Dans son cas et dans la morphologie spirituelle de nos frères les Algériens, c’est au Tout puissant qu’il faut le relier, le prépondérant, l’omnipotent, l’omniscient, qui sait tout et n’ignore rien, fait et défait les rois, qui dit aux choses d’être et ils adviennent, qui a fait régner la terreur dans les cœurs et les chaumières sur un interminable long quart de siècle et qui a fini par se terminer. En le voyant entrer au tribunal de Blida, tête baissée, conduit par certainement un de ses anciens agents, on a envie de s’écrier : C’est ça le général de corps d’armée Toufik, de son vrai nom Mohamed Médiene ?! Souriez, mon général, vous avez été fixé pour la postérité.

Sous l’emprise de la fascination de cette image, celle de l’autre général parait presque vulgaire, banale. Il a beau avoir succédé à Toufik à la tête des services de sécurité après son limogeage en 2015, il a beau avoir été l’officier supérieur qui a conduit sur le terrain le combat contre les groupes armés islamistes, il ne matche pas. Malgré sa carrure et une gueule fortement marquée qui en dit long sur les besognes qu’il a accomplies, le général Ayhmane Tartag ne tient pas la comparaison. Il s’estimerait heureux si déjà le juge ne retient pas contre lui le chef d’inculpation de déranger par sa présence le paysage. Dégagez, vous gênez la vue !

Le troisième larron est inénarrable. Ses cheveux lisses, qui ont la fâcheuse tendance de venir lui couvrir une partie du front, sa moustache qui devrait en principe témoigner de sa virilité ne font pas illusion. Son mérite le plus éclaboussant reste et restera d’être le frère de. Il a été l’homme fort, surtout de ce fatidique quatrième mandat, mais tout le talent de Saïd Bouteflika tient aux sources de l’ovule et du spermatozoïde qu’il partage avec son frère d’ex-président. L’histoire le classera dans ses archives comme l’usurpateur, le spoliateur, l’intrigant sans légitimité, ni militaire, ni populaire, pas même celle de quelques urnes violées dans un fief perdu dans le vaste Sahara algérien. En pointant au tribunal, il avait les mains dans le dos, les menottes aux poignets. Pas les deux généraux qui avaient les mains libres. Même dans la déchéance, l’armée préserve les siens. Trois instantanés à quelques secondes d’intervalle et une seule leçon. Plus le pouvoir, jumeau de l’arrogance, enivre, plus la gueule de bois de ses lendemains est une céphalée lancinante. La migraine à perpétuité. La liste de ses désenchantés est longue quand on parcourt les âges. A trop céder à ses sirènes, on finit dans le vertigo qui n’est pas très grave tant que ses manifestations se limitent à quelques caprices et un brin de fantaisie. Mais le risque est grand qu’il évolue en syndrome d’hubris, une notion de l’antiquité grecque qu’un ami érudit m’a apprise. Hubris, hubrys ou ubris désigne « tout ce qui, dans la conduite de l’homme est considéré par les dieux comme démesure, orgueil ». Ils le sanctionnent de leurs foudres. Les impénétrables voies du Seigneur donnent à leurs éclairs les formes qu’Il veut. Dans le cas des trois lascars de l’Algérie éternelle, c’est juste l’éclat d’un flash au seuil d’un tribunal. On appelle cela aussi, l’histoire en marche.