Libre cours

Le titre d’une manchette quatre colonnes m’assaillit comme une provocation : « Le penseur XY pense que... ». S’ensuit une déclaration sur, généralement, la monarchie, le roi, son entourage. Histoire d’accrocher le chaland. Ce n’est pas tant l’objet de la déclaration, devenu monnaie courante, qui m’interpelle, mais la qualification du déclareur de penseur qui me laisse songeur. Je me promets d’approfondir le sujet.

Le premier qui me vient à l’esprit c’est Rodin et sa sculpture. Le Penseur, à l’origine un modelage en plâtre de 71,5 cm de haut, pensé et créé par Auguste Rodin en 1880, ne se verra en bronze qu’en 1902. Une sculpture figeant un homme nu, aux muscles ciselés, plongé dans ses pensées, livré à ce délicieux et jouissif exercice sans censure qu’est la méditation.

Je revoie mon Penseur XY du titre de ma manchette quatre colonnes à la Une et je cherche ce qu’il a en lui du penseur de Rodin, d’Ibn Rochd ou de Kant, d’Ibn Khaldoun ou de Marx, de Abdellah Laroui ou d’Umberto Eco. Et je

ne vois que beaucoup de platitude et point de bosse. Ils sont ainsi pléthore, autoproclamés plitologues, analystes, experts en stratégie et comble des combles, penseurs.

Cogito ergo sum. La seule certitude sur laquelle Descartes a fondé son doute méthodique. Du verbe penser, il a fait la condition sine qua non à la conjugaison du verbe être à la première personne du singulier au présent.

Je pense donc je suis. Et là je ne suis pas loin de penser de mon Penseur XY beaucoup d’insanités. Dans sa toge blanche sans coutures, tournant sept fois autour du pot (cubique et noir). Je le vois surtout dans un salon de manucure : beaucoup de vernis et du fond de teint pour dissimuler une petite mine.

Ce n’est pas le rire qui est le propre de l’homme, mais penser, réfléchir autrement qu’un miroir. Car tout ce qui brille n’est pas forcément brillant. Seule la pie kleptomane prendrait pour une brindille un bout de papier aluminium sur lequel s’est levé le soleil, encore que scientifiquement ce n’est pas prouvé.

Le si je pense et donc je suis, tel que voulu par l’ami René, ne fait pas de

moi systématiquement un penseur. Sinon dans la définition qu’en donne le dictionnaire : « Personne qui a des pensées personnelles sur les problèmes généraux ». Une définition qui me va comme un gant pour devenir à mon tour un penseur. Et même un grand penseur.

Il y a des formes de pensées où j’excelle particulièrement au quotidien: Le matin, au réveil, je pense à manger (même quand c’est Ramadan).

N’allez pas croire que je mange, j’y pense seulement, ce qui veut dire que toutes les pensées ne trouvent pas à leur gré leur voie à l’application. Fort heureusement ! Que de morts, j’aurais laissés sur mon passage. De femmes honorables, dévêtues dans la rue.

Je pense aussi à prendre une douche (quand je n’oublie pas). Je pense à passer à la banque (quand je suis obligé par la contrainte d’aller régler mon problème de découvert). Je pense à aller au travail (quand je n’ai pas trop la flemme). Je pense et je pense et le soir je pense à dire mon Témoignage avant de me livrer aux cauchemars de Morphée (au cas où je passerais l’arme à gauche dans mon sommeil) : Il n’y a de Dieu que Dieu et Mohammed est son prophète. Je pense à le dire à voix haute (des fois que Dieu serait distrait par le trop de soucis que lui causent les hommes et leur humanité).

PS pendant que j’y pense : Le féminin de penseur est penseuse. C’est rare, mais correct.