Le challenge fiscal

Par Loubna Mountassir

FINANCES A l’heure où le gouvernement Benkirane II est attendu avec patience sur de nombreux fronts, d’autres discussions ressurgissent, un peu dans l’ère du temps, en anticipation à la mise en place du Budget 2014. Projet qui sera appelé à répondre de manière pragmatique aux préoccupations et doléances sociales grandissantes de l’économie nationale. L’augmentation des prix du carburant ne semble être que le début d’une longue série de réformes devant être adoptées...en urgence.

Depuis l’aube des temps, la grandeur et décadence des Etats se résumaient à leur capacité à lever l’impôt. Un état puissant ne disposait pas seulement d’une armée, mais d’une facilité spontanée à mobiliser les deniers publics afin de financer la construction, le développement et le rayonnement de la nation. Dès l’Antiquité, les Romains ont organisé leurs finances publiques en centralisant les recettes de l’État au sein du trésor impérial et du trésor de public romain. Les politiques fiscales sont donc nées d’une volonté des Etats de créer des rentrées budgétaires en vue d’assurer leur pérennité financière. Au Maroc, l’histoire du Makhzen et de l’imposition vont bien évidemment de paire tant sur le plan étymologique qu’institutionnel. Ceci a donné naissance à un système fiscal à l’image de son intégration à une économie libérale insérée dans un champ mondialisé. A ce juste titre, l’Etat possède les leviers politiques et opérationnels nécessaires afin de réguler et l’activité économique et le niveau de ses recettes budgétaires en agissant sur les niveaux des prélèvements fiscaux. Ainsi, la mise en oeuvre d’outils d’incitation fiscale par exemple permet de paramétrer l’allocation des ressources et la canalisation de leur redistribution par un ajustement chirurgical de l’impôt en adéquation avec les revenus des contribuables.

Ce constat sous-entend le caractère hautement stratégique que joue la politique fiscale dans le façonnement global de l’architecture d’une politique économique pragmatique centrée autour d’un enjeu de souveraineté, surtout si l’on insiste sur le fait que l’impôt constitue 60% des recettes budgétaires. Un état prospère est aujourd’hui par définition un état puissant, capable d’imposer ses décisions, mêmes les plus politiquement incorrectes comme le démontrent aujourd’hui les évènements chaotiques qui sévissent au Moyen-Orient. Au Maroc, d’un point de vue historique, la conjonction de 3 phénomènes : l’alourdissement de l’endettement extérieur, la crise des finances publiques sur un fond d’atonie économique généralisée a incité le gouvernement à opérer de profondes réformes fiscales depuis le début du 20ème siècle. Si les causes de l’apparition de ces symptômes de manière simultanée diffèrent pour des raisons historiques et politiques évidentes, l’issue semble en revanche mener fatalement vers une profonde réforme économique et fiscal pouvant s’avérer brutale. Ainsi, la pression budgétaire qui a fortement fragilisé l’économie nationale au milieu des années 80 a indubitablement obligé le gouvernement à accepter les termes drastiques du package du plan d’ajustement structurel imposés par le FMI et qui a conduit à un creusement de la dette publique dont l’encours est passé de 78% du PIB en 1986 à 80% en 1994 absorbant par la même occasion presque 1/4 des recettes ordinaires de l’Etat.

D’un point de vue fiscal, la simplification du système d’imposition n’a pas permis d’élargir, à court terme, la base imposable malgré les efforts de modernisation consentis. Trois décennies plus tard, le même scénario semble se profiler, mais cette fois-ci, plusieurs questions demeurent en suspens relevant de la méthodologie à adopter pour garantir une augmentation, en douceur, des marges du Trésor par le biais mécanique de la réduction des avantages fiscaux sans pour autant impacter négativement ni les incitations à l’investissement ni la compétitivité du tissu productif. Dans le cas contraire, les conséquences sociales peuvent être désastreuses : augmentation du chômage, amenuisement du pouvoir d’achat des ménages, aggravation de l’incivisme fiscal… En somme, le système fiscal marocain semble être en perpétuelle réforme, ce qui démontre en soi une certaine volonté de modernisation. Cependant, ne vaut-il mieux pas entamer la mise en place d’une feuille de route fiscale cohérente transparente et lisible pour un réaménagement profond à long terme, indépendamment des nouveautés introduites puis abandonnées à l’occasion de l’élaboration des chaque projets de lois de Finances ?