Libre cours

 

Par Naïm Kamal

 

La diplomatie algérienne, en semi léthargie depuis quelques années et en quête d’un fort retour sur la scène internationale, a été bien servie par l’arrivée fracassante de la Turquie de Tayyip Erdogan sur le théâtre libyen. L’enfièvrement subit, bien que prévisible, de la crise libyenne a aidé au réveil diplomatique de l’Algérie en même temps qu’il l’a contraint à un important redéploiement militaire. Ses troupes aux frontières libyennes sont estimées actuellement à 50 mille hommes et l’essentiel de son arsenal y est concentré. Dans le foulée, la réunion de Berlin du 19 janvier sur la Libye est tombée à point nommé pour mettre en scène une diplomatie algérienne en mal de représentation, promettant qu’on va voir ce qu’on va voir.

Une chance, il faut le dire. Avant même d’esquisser convenablement les moyens de répondre aux attentes des Algériens dans la rue depuis pratiquement une année, le régime algérien a trouvé là de quoi redonner des couleurs à sa diplomatie et revendre aux citoyens de son pays la chimère de la puissance régionale incontournable. Il est certain que cette voie de déviation inespérée comble l’ego des généraux algériens et leur permet par la même occasion de justifier leur raison d’être. Elle les autorise aussi à poursuivre leur politique de surarmement, source en grande partie de leur enrichissement. En revanche il n’est pas dit que les Algériens, désabusés par un pouvoir qui n’a cessé de les mener en bateau, auront la même perception des intérêts de l’Algérie que l’état-major de leur armée.

Il ne s’agit pas de minimiser par là les menaces qui planent sur l’Algérie. Elles sont réelles bien au-delà de ce que l’on peut concevoir dans l’immédiat. Rien ne dit en effet que ce plus vaste territoire d’Afrique ne soit pas dans le collimateur d’ambitions stratégiques qui le verrait bien morcelé. La théorie du Grand Moyen Orient, qui a laissé tomber en cours de route le volet démocratique dont elle se parait, n’en est pas moins encore vivace dans l’esprit de l’hyperpuissance qui l’a conçue. Son crédo est qu’aucun pays de la sphère arabomusulmane ne doit être en mesure un jour de rivaliser spatialement, économiquement et militairement avec Israël.

Sans doute, on en n’est pas encore là. Pour l’instant, avec le bourbier libyen et le marécage sahélien, Alger, à travers aussi bien sa diplomatie que son armée, est en train de s’enfermer dans un triangle infernal formé par Moscou, Paris et Ankara qui ont en Libye pour dénominateur commun un ton dissonant et des intérêts divergents. La Russie est l’allié traditionnel du régime algérien et son principal fournisseur en armement. Elle soutient, aux contés des Français, les troupes de Haftar, tout en le niant. La France est un partenaire incontournable, quoi qu’en dise Alger. Elle essaye par le biais flatteur du Comité de Suivi de l’Accord de Paix au Mali conclu en 2015 à Alger, de l’impliquer directement dans les conflits du Sahel pour, entre autres, mieux le neutraliser en Libye. La Turquie, désormais le frère- rival venu titiller l’Algérie dans ce qu’elle considère comme son espace naturel, la contraint à sortir du bois. En attendant que le jeu se clarifie, les deux pays font de leur mieux pour se trouver des convergences, se broder au pied levé des ententes et bricoler des modus vivendi. Dans cet imbroglio où l’ami est aussi souvent l’ennemi, Alger ne donne aucun signe sur son flanc ouest, le plus paisible, d’un début de réflexion sur un possible apaisement avec le voisin marocain. Fut-ce le temps de voir un peu plus clair dans ce qu’elle peut et veut faire face aux foyers de feu qui la cernent. En direction du Maroc, c’est plutôt à une gesticulation hostile permanente que l’on assiste. Mais c’est peut-être dans cette situation d’assiégé que le pouvoir militaire retrouve sa zone de confort. Le ressort psychologique qu’active son obnubilation nostalgique pour son aura d’antan, n’est pas étranger au contentement du pouvoir dont les postures péremptoires du président Abdelmadjid Tebboune sont symptomatiques. En même temps, ce déploiement diplomatique tout azimut, aidé il est vrai par la conjoncture, est un moyen, il vaut ce qu’il vaut face à un peuple échaudé, d’évacuer sur des périls qui fusent de partout, le mécontentement populaire et de reprendre en main un front intérieur qui a échappé à son contrôle.