MARDI: Le fantôme de Pol Pot
Vincent HERVOUET

Les manifestants approchaient la résidence du Premier ministre Hun Sen. La police cambodgienne n’a pas hésité. Elle a tiré dans le tas. À balles réelles. Une femme qui vendait du riz sur le trottoir a été tuée sur le coup. On a relevé une dizaine de blessés. Sans compter ceux qui ont été tabassés après s’être vengés en incendiant une voiture de police. Pour cette fois, les forces anti-émeutes ont eu le dessus. Ils ont provoqué la colère mais ils ont tenu la rue. Les manifestants reviendront, comme la marée. Et l’émeute sera plus forte. Ce sont des ouvriers du textile. Ils travaillent pour des capitalistes chinois de Singapour et produisent pour les géants de la mode mondiale (H&M, Gap, Zara, Levi’s). Ils réclament des hausses du salaire mensuel (80 dollars mensuels alors qu’il en faudrait 150 pour se loger et se nourrir à Phnom Penh selon les syndicats) et de meilleures conditions de travail. Selon l’ONG Clean Clothes Campaign, les ouvrières travaillent jusqu’à 15 heures par jour, sept jours sur sept.

Souvent, elles se privent de manger pour subvenir aux besoins de leurs enfants et c’est pour cela qu’elles ont été 2400 à s’évanouir d’épuisement à leur poste de travail en 2012. Comme le gouvernement cambodgien redoute que les usines délocalisent au Bengladesh ou en Birmanie où la main d’oeuvre est encore moins chère, il refuse toute hausse des coûts de production. La main d’oeuvre ne représente pourtant que 1 à 3% du prix d’un vêtement. C’est encore trop dans cette Asie qui a survécu au pire du communisme et subit désormais le pire du capitalisme. La violence sociale que provoque la mondialisation ne peut être comparée au génocide cambodgien. Ni Hun Sen à Pol Pot. Mais le Premier ministre cambodgien qui fut un bon Khmer rouge et qui règne sans partage sur une société corrompue jusqu’à la moelle a gardé du catéchisme révolutionnaire de sa jeunesse une froide détermination à écraser l’adversaire et le mépris de la souffrance du peuple. Khieu Sampan qui fut le président du Kampuchéa démocratique et qui n’a manifesté aucun regret devant la cour qui le juge a résumé cette philosophie : « On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs ».