Entretien : « L’année 2020 va être une année « catastrophique » pour le secteur sur tous les plans »

Zoubir Bouhout, directeur du conseil provincial du tourisme de Ouarzazate

 

Recul des arrivées, pertes de nuitées, pertes en devises pour les touristes étrangers, le secteur du tourisme est en mauvaise passe. Quel est l’impact réel de la pandémie du covid-19 et quelles prévisions pour 2020 ? le directeur du conseil provincial du tourisme de Ouarzazate fait le point.

 

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Votre analyse de la crise touristique mondiale actuelle !

Zoubir Bouhout :La crise enregistrée dans le secteur du tourisme qui contribue à 10,4% du PIB mondial, concerne aussi bien le transport aérien (256 milliards d’USD en 2018) sévèrement touché ainsi que toute la chaine de valeur du secteur (Hébergement, restauration, agence de voyages, transport terrestre, événementiel, etc.) et des dizaines de millions d’emplois se trouvent de surcroit  menacées. La fermeture des  aéroports et la suspension des voyages,  va se traduire selon l’OMT par une baisse du nombre d’arrivées de touristes en 2020,pouvant atteindre jusqu'à  moins  30 % ainsi qu’une  contraction de recette de  450 milliards Dollars US , soit près d’un tiers des 1 500 milliards de Dollars US de recettes générées en 2019. La situation ne risque pas de s’améliorer compte tenu de la crainte du déclenchement d’une « deuxième vague » de corona virus  dans le monde suite a une recours hâtif et/ ou démesuré au   déconfinement d’autant  plus que les zones les plus touchées sont les  régions touristiques les plus émettrices de touristes : Europe  672,3 millions de touristes,  l’Asie ,358,7 millions et les Amériques   235 millions de touristes, soit 90,36% du tourisme émetteur qui a atteint 1401 Millions en 2019. A eux seuls, les chinois (1,3 milliard d’habitants) ont effectué 149,7 millions de voyages à l'étranger en 2018. Ils sont suivis par les Allemands et les Américains respectivement  (108,5 et  92,6 millions  de départs en 2018).

Vous avez réalisé une étude portant sur l’impact et les projections de pertes pour l’année 2020 à la fois pour le tourisme interne et celui basé sur les arrivées des touristes étrangers. Quels en sont les principaux résultats ?

Au Maroc, le secteur du tourisme est parmi ceux les plus impactés par cette crise.

Nous avons réalisé une étude qui évalue l’impact et mesure approximativement les pertes totales pour l’année 2020. Si depuis 2012, le tourisme national a connu de bons scores en termes de nuitées, d’arrivées touristiques, de recettes touristiques…, l’année 2020 va être une année « catastrophique » sur tous les plans. Les tableaux et graphes suivants résument les prévisions pour les principaux indicateurs :

Pertes en termes d’arrivées et de recettes en devises en 2020.

Pertes pour le tourisme interne en 2020.

Evolution mensuelle des arrivées en 2019 et 2020.

Evolution Mensuelle nuitées résidents en 2019 et 2020

Qu’en est il de l’impact sur la ville de Ouarzazate en particulier?

A Ouarzazate notre  saison touristique est ratée pour 2020. Notre période de haute saison est justement mars, avril et mai alors que nous sommes sous  confinement. Déjà en 2019 nous avons enregistré -1% en termes d'arrivées et -2% en termes de nuitées. Les résultats projetés pour 2020 seraient terribles avec une baisse de -54% en arrivées et nuitées par rapport à 2019. De plus, vu les chiffres de la propagation de la pandémie qu'on continue d'enregistrer, avec un nombre de cas contaminés à la province de Ouarzazate seule dépassant le nombre de contaminations cumulées dans 6 régions, nous  serons peut être la derrière province à être déconfiné.

Quelles sont vos préconisations pour un vrai redémarrage du tourisme ?

Le Tourisme interne peut jouer un rôle déterminant pour combler  une partie du manque à gagner causé par la perte d'un volume important de  touristes étrangers.

A très court terme, il faut veiller  à mettre  en place des outils et des mécanismes efficaces pour soutenir le consommateur national. L’une des propositions que nous pouvons suggérer consiste en l’octroi des "chèques vacances régionaux" a utiliser dans la même région auprès des entreprises touristiques de l'ensemble de la chaîne de valeur : hôtels, maisons d'hôtes, restaurants, agences de voyage, transport touristique, location de voiture, etc. Ce fonds serait alimenté dans un premier temps, principalement  par les contributions du Fonds Covid, des compagnies d’assurances, de l'ONMT et des régions. Aussi, il serait important de penser à une manière d'intéresser les marocains qui ont passé ou qui pensent passer leurs vacances à l’étranger. Les données de l'office de changes indiquent que leurs dépenses a été de l'ordre de 19,14 Milliards de dirhams en 2019. Par la suite, il va falloir commencer à co-construire la vision 2030, tout en mettant dans nos esprits que la durabilité du secteur du tourisme repose d’une manière très significative sur le Tourisme national. La stratégie à mettre en place devrait se focaliser sur : la conception d'un produit adapté aux exigences du touriste national, la mise en place de mécanisme de soutien financier pour le consommateur marocain le tout associé avec une politique de promotion intelligente.

Par ailleurs, la stratégie ne doit pas ignorer le segment des touristes étrangers vu les apports en devises générés.

Que pensez-vous de ce projet de loi N° 20.30 qui vient d’être adopté édictant des dispositions particulières relatives aux contrats de voyages, résidences touristiques et au transport aérien des voyageurs ?

Il s’agit d’une mesure a portée limitée puisqu'elle ne concerne pas toute la chaine de valeur.

Cela  va profiter surtout au transporteur aérien et agences de voyages ayant reçu des règlements d'avance sur les réservations annulées ou reportées. Nous avons besoin de mesures pour booster le tourisme interne d'une manière durable. Les entreprises touristiques réclament des mesures sur le plan financier, fiscal ainsi qu'un rallongement de franchise de cotisations sociales. Le plus important c'est de revoir la stratégie globale et de considérer le tourisme interne comme vecteur déterminant du développement touristique et non comme une simple  roue de secours.