histoire sans paroles au Palais
Vincent HERVOUET

Les ministres s’embrassent, ils ont l’habitude de se mettre en scène devant les caméras. Ils « surjouent » d’autant plus les protestations d’amitié qu’ils défendent les intérêts forcément égoïstes des nations qu’ils représentent. Seul éclair de sincérité, le Français Laurent Fabius a un mouvement de recul quand l’Iranien s’avance pour l’embrasser. Il garde une défiance vis-à-vis de Téhéran, fruit de son expérience des années 80. Mais l’atmosphère générale au Palais des Nations de Genève est au soulagement. Chacun a conscience d’avoir réussi un virage diplomatique attendu de longue date. L’Iran accepte de s’arrêter dans sa course au nucléaire en échange de la levée partielle des sanctions. Un accord provisoire mais un accord historique. Cela fait dix ans qu’on court après. Et même 34 ans, (deux générations !) si l’on considère que les Etats-Unis viennent de rétablir le dialogue avec l’Iran. Le thermidor de la révolution iranienne, disent les historiens qui se souviennent qu’après l’épouvantable Terreur, les révolutionnaires français se libérèrent de la tyrannie des sans-culottes. Encore faut-il croire que le régime iranien ait changé depuis l’élection du « gentil » Rohani. C’est la version servie aux médias et dont on peut douter. Car William Burns, numéro 2 du Département d’Etat négocie en grand secret avec les émissaires de Téhéran à Oman depuis le mois de… Mars. Mahmoud Ahmadinejad était toujours président ! Il faut croire que le Guide suprême s’est décidé à bouger. À Genève, à l’heure de la signature de l’accord qu’ils ont négocié ligne à ligne, mot par mot, pendant quatre jours, les diplomates européens gardaient le visage fermé. Tout compromis est un demi-succès et la fatigue aidant, on peut y voir un demi-échec. Ils savent surtout qu’il va falloir se remettre à la tâche et que le plus dur reste à faire. Or, les palabres avec les Iraniens sont un supplice. Jusqu’au bout : au moment où les ministres enfilaient leurs manteaux pour gagner le Palais, un négociateur iranien a surgi avec une feuille à la main, réclamant de nouvelles modifications du texte ! L’accord est provisoire et limité mais il peut être reconduit dans six mois. On peut faire le pari qu’il le sera et qu’il tiendra lieu pendant longtemps d’accord global. Il faut du temps pour s’apprivoiser. On mise sur la confiance, sans brûler les étapes. En attendant, les Iraniens pourront continuer à répandre le chaos en Irak, à participer à la guerre civile en Syrie, à imposer leur ordre par Hezbollah interposé au Liban et à agiter les communautés chiites dans le Golfe. Jouer tout à la fois l’ordre et le désordre, c’est la politique d’une puissance régionale. Et c’est bien parce que leur politique d’endiguement à échoué que les Américains se sont résolus à négocier avec leur meilleur ennemi dans la région. Sans hésiter à le faire dans le dos de leurs alliés européens, israéliens, arabes. Et en continuant à mimer les embrassades devant les caméras.