Tanger sinistrée. La saison touristique est morte

 

Recalée et toujours maintenue en Zone 2, Tanger est une ville sinistrée. Le tourisme, secteur locomotive de l’économie locale, est à l’agonie. Ses acteurs lancent un appel de détresse.

 

Par Hayat Kamal Idrissi et Abdelhak Razek

 

« Le tourisme dans notre ville vit l’un des pires moments de son histoire. La machine n’a jamais été esquintée de celle manière. Même pendant la guerre du Golfe, on n’a pas été aussi touchés et aussi longtemps », nous lance d’emblée Badr Benyamina qui gère une entreprise familiale composées de deux Riads et un bazar. Des pertes de l’ordre de 100% qui se cumulent depuis plus de 4 mois et qui ont poussé certains hôteliers à suspendre leur activité et même à mettre la clé sous la porte. Des centaines d’employés se sont retrouvés, du jour au lendemain, en chômage forcé.

 

Il faut sauver 2021

 

« Beaucoup de Riads et d’hôtels n’ont pas pu résister. Il faut savoir que la crise a commencé pour le tourisme bien avant la fermeture des frontières le 13 mars. Dès le déclenchement de la pandémie en Chine en début d’année, on en a ressenti les répercussions ici à Tanger ; en termes d’arrivées et de nuitées », nous assure de son côté Rachid Jebari, directeur général de l’hôtel le Mandarin.

Offrant le gîte et le couvert aux médecins civils et militaires qui étaient en premières lignes durant la guerre conte le Covid-19, le Mandarin est l’un des rares hôtels à rester ouverts durant cette crise. « Nous avons maintenu nos services gratuitement durant toutes cette période en préservant les emplois plein temps de 50% de nos employés. Mais il faut dire que nos pertes sont lourdes et s’élèvent à des millions de dirhams », nous avoue le gérant du Mandarin. Tout comme ses compères du secteur touristique tangérois, cet hôtelier considère l’année 2020 comme complètement perdue. « La haute saison commence à Tanger à partir de Mars et se clôture fin août. Avec le nouveau maintien de la ville en Zone 2 alors qu’on est déjà fin juin, on n’espère plus sauver l’année 2020 », déplore Benyamina.

Une année 2020 qui a mal commencé et  qui ne s’améliore guère surtout avec le manque flagrant de visibilité par rapport à une éventuelle reprise. « Actuellement, on oublie 2020 car c’est trop tard pour la sauver. Par contre, nous ne devons pas laisser la crise miner 2021 également. Ce manque de visibilité et de vision est fatal pour nous. Nous sommes en train de perdre des contrats pour 2021, car ne pouvant rien garantir aux tour-opérateurs européens », s’insurge Jebari.

« Date d’ouverture des frontières, plan et étapes de déconfinement touristique, mesures d’accompagnement pour la relance du secteur... nous n’en savons rien !!! Les acteurs du tourisme local sont dans le flou. L’Etat et la tutelle ne font rien pour nous éclairer et nous rassurer. Et pendant ce temps nous perdons des touristes qui vont voir ailleurs  », déplore Abdellatif Chabâa, président de l’association des guides touristiques de Tanger. Des travailleurs journaliers, les guides gagnent leur pain en faisant des tournées touristiques aux visiteurs de la ville de détroit. « Depuis quatre mois, c’est la grande dèche. On ne fait que vivoter ! », ajoute pour sa part le secrétaire général de l’association. « Mais pire que notre situation critique, c’est ce confinement à répétition sans vision claire », commente Meriem, guide tangéroise, forte d’une expérience de plus de vingt ans.

 

Le flou

 

« En Espagne, en Tunisie et en Turquie l’Etat a relancé le tourisme en élaborant des plans nationaux, en concertation avec les différents acteurs du secteur. Un plan global qui permettra une reprise sécurisée susceptible de sauver le reste de l’année, d’éviter la faillite aux investisseurs et de protéger l’emploi de milliers de travailleurs. Au Maroc, qu’a-t-on préparé pour rebondir ? Rien ! »,  regrette la guide. Le plan de sauvetage par l’encouragement du tourisme interne ne semble pas trop emballer les acteurs locaux. Leur argumentaire ? La crise a été générale et le pouvoir d’achat du touriste national en a pris un sacré coup.

« Pour l’encourager, il faut prévoir de véritables promotions. Cependant pour pouvoir ce faire, l’Etat doit intervenir pour aider les hôteliers gravement éprouvés par les lourdes pertes liées au Coronavirus», suggère le directeur du Mandarin. D’après lui, cette intervention de l’Etat peut prendre la forme d’exonération partielle d’impôts et de taxes, de subventions au « tourisme social »… « Ceci dit, seule l’ouverture des frontières et l’accueil sécurisé sanitairement de groupes de touristes peut sauver le secteur », conclut-il.

Un appel de détresse de Tanger mais aussi de Marrakech, la première destination au Maroc qui est toujours confinée en Zone 2. Un autre dossier chaud sur le bureau de la ministre du Tourisme Nadia Fettah Alaoui. Réagira-t-elle ? A suivre !

 

Le reportage en vidéo

https://www.youtube.com/watch?v=OcZ0X9RwJ3I

 

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