Libre cours

Amina Maa Elaynaine, députée PJD, est un personnage qui adore agiter le bocal et se mettre sous la lumière des projecteurs. De moins en moins ces derniers temps, mais elle vient de se fender d’une analyse sur le dialogue entre les islamistes et les laïcs assez curieuse intitulée « Le dialogue islamistes-laïcs : l’inéluctabilité suspendue ». La députée islamiste commence par relever que la grande victime de 2013 n’est autre que le dialogue, la culture de la divergence et la gestion du pluralisme. De son point de vue, les principales parties du jeu politique sont les islamistes et les laïcs. Ce qui reste à démontrer mais visiblement l’exclusion d’un trait de plume des autres nuances de l’arc en ciel marocain ne semble pas la gêner outre mesure. Elle ajoute que la grande erreur de ces deux tendances est d’avoir paralysé les mécanismes du dialogue, ou débat, sociétal pour recourir directement à l’arbitrage des urnes. À partir de là on se demande où elle veut en venir et ce n’est que vers la fin qu’elle nous livre sa grande découverte. À ce niveau, obligatoirement je passe à la traduction intégrale. Savourez : « Dans la situation où nous en sommes, il est impératif qu’islamistes et laïcs soient convaincus ensemble de la nécessité d’une étape transitoire où l’on reporte le recours à l’arbitrage des urnes pour résoudre les divergences afin d’approfondir le débat en vue d’élever notre conscience collective au niveau de l’acceptation de chacun par l’autre en tant que composante fondamentale impossible à éliminer pour simple divergence avec lui. Il a été démontré aux laïcs que les islamistes sont une grande force populaire comme il a été prouvé aux islamistes que les laïcs ne sont pas prêts d’accepter la démocratie si elle doit amener leurs ennemis aux leviers du pouvoir. Il en résulte ce que nous vivons aujourd’hui comme sabordage des espérances de générations aspirant à l’émancipation. Il n’est plus admissible aujourd’hui pour les deux parties de continuer à approfondir les divergences, à recourir à la provocation, aux contre réactions et à l’exclusion […] »

Ce que comporte ce passage comme autocélébration des islamistes et de rabaissement des convictions démocratiques des laïcs est dérisoire devant ce que recèle cet étrange plaidoyer : Dissoudre le parlement, arrêter toute opération démocratique, renvoyer les électeurs aux vestiaires, inviter les seules élites islamistes et laïcs à débattre dans une belle agora du besoin de s’accepter mutuellement jusqu’à ce qu’ils se convainquent réciproquement de la nécessité du vivre ensemble, alors et seulement alors on convoquera le peuple aux urnes pour départager les belligérants. Au milieu des années soixante, quelque chose de similaire a eu lieu : constitution d’un gouvernement ouvrier qui développerait l’économie avant de revenir aux élections. Cette théorie avait donné l’état d’exception et les années de plomb. Mais la députée est trop jeune pour le savoir, même si beaucoup de livres en parlent.