Le funambule
Vincent HERVOUET

La politique est tragique. Mais la salle des fêtes de l’Elysée, aux tentures cramoisies et aux boiseries dégoulinantes de dorures, ressemble plutôt à un théâtre de boulevard où l’on joue des comédies. Les 600 journalistes convoqués pour assister à la conférence de presse annuelle de François Hollande venaient au spectacle, un peu honteux de participer à un vaudeville. La vie privée du Président obsède les médias depuis la publication par un magazine « People » des photos d’un paparazzi dévoilant la liaison du chef de l’Etat avec l’actrice Julie Gayet. La France des bistrots et des repas en famille ne parle que de cela. Nul n’ignore les détails pittoresques de l’affaire, avec les rendez-vous galants rue du Cirque (!), à cent mètres de l’Elysée, dans un appartement loué par la concubine… de mafieux corses ! La disparition soudaine de la compagne « officielle » du Président, Valérie Trierweiler, hospitalisée en urgence pour « une grosse fatigue », a fait du feuilleton une affaire publique et lui a donné une dimension tragicomique.

Il n’y a plus qu’en France et en Russie que le chef de l’Etat se livre chaque année à une interminable conférence de presse, grand spectacle retransmis en direct par la plupart des médias. Ailleurs, le chef de l’Exécutif rend compte régulièrement de sa politique. En démocratie, annoncer ses décisions, assumer ses choix et les éclairer constitue l’essentiel du job entre deux campagnes électorales. La France préfère cultiver ses traditions exotiques. Le général de Gaulle avait fondé la Vème république sur une exigence de grandeur, à laquelle il sacrifiait jusque dans ses rapports contingents avec les médias. Une fois par an, il prophétisait sur la marche du monde, les grands équilibres, la place de la France. La pompe est restée, même si l’esprit a déserté. Ses prédécesseurs se sont coulés dans ses habitudes sans s’imposer le même genre de vie ascétique. De même, la France est la seule nation développée à faire parader ses troupes dans la capitale le jour de la fête nationale, alors que depuis la fin de la conscription décidée par Jacques Chirac, l’armée n’est plus composée d’appelés du contingent qu’il était naturel d’honorer mais de professionnels salariés. Ainsi va la République qui a gardé le faste et la nostalgie de la monarchie abolie.

A l’heure du numérique et de l’info continue sur les réseaux sociaux, François Hollande a donc présenté ses vœux au médias en se livrant pendant près de trois heures à un jeu des questions réponses, plein de déférence et d’arrières pensées. Il a évidemment refusé de répondre aux questions sur sa conduite, sur la première dame, sur sa sécurité en se disant scandalisé par ces questions qui seraient autant d’atteintes à sa vie privée. Comme tous les dirigeants, depuis que la démocratie existe, quand ils préfèrent montrer à l’opinion une image plus flatteuse d’eux-mêmes ! Les médias français sont fiers d’éviter les outrances puritaines de la presse anglo-saxonne. Ils ont donc accepté que le Président tire ce confortable rideau de fumée. Il n’est pas évident que l’opinion soit aussi indulgente. Chacun garde dans l’esprit les commentaires assassins du candidat Hollande sur la vie privée de Nicolas Sarkozy (divorce, idylle et remariage) et son engagement de fin de campagne : « Moi, Président, j’aurais une conduite à chaque instant irréprochable ! ». En temps de crise, les peuples exigent toujours davantage de ceux qui les gouvernent, notamment le sacrifice de toute vie privée. La double vie du chef de l’Etat semble bien futile. Tout comme l’installation d’une maitresse à l’Elysée à laquelle on a donné un cabinet et les responsabilités d’une première Dame et qu’il semble délicat de répudier.

Il y a au moins une chose que François Hollande assume après l’avoir longtemps cachée : il est social-démocrate. Deux ans après son élection, il se décide à tendre la main aux entreprises privées pour un pacte de responsabilité, dont il espère des retombées dans la lutte contre le chômage. Le tournant est radical, les voisins européens et les milieux économiques applaudissent. Mais nul ne sait où le Budget trouvera les dizaines de milliards d’euros que les entreprises n’auront plus à verser et il n’est pas sûr que François Hollande trouve une majorité à gauche pour cette nouvelle cure d’austérité. Rue du Cirque comme au théâtre élyséen, le Président semble un de ces funambules qu’on regarde épaté au trapèze en pariant que tôt ou tard, il se rompra le cou.