Genève 2, 3, 4, etc.
Vincent HERVOUET

C’est vrai que cela a mal commencé. La conférence de Genève 2 s’est ouverte à… Montreux. Cela fait des mois que les organisateurs préparaient le rendez-vous mais à l’heure donnée, il a fallu se rendre à l’évidence : les palaces genevois étaient réservés par d’autres congressistes, plus paisibles. Ce détail d’intendance a semblé un symbole. A force d’attendre, la situation en Syrie serait devenue si compliquée, que tout devient insoluble. Et puis, il y a eu la gaffe de Ban Ki Moon. Le Secrétaire général des Nations unies n’était pas arrivé en Suisse qu’il y avait déjà ruiné son crédit. Quelle imprudence d’inviter les Iraniens ! Sans en avoir obtenu la permission… Les protestations des Occidentaux, la colère des pays du Golfe, l’ultimatum de l’opposition syrienne menaçant de boycotter la réunion ont fait reculer le présomptueux. Le Secrétaire général de l’Onu a mangé son chapeau et annulé l’invitation. Les diplomates ont fait leur métier, ils ont trouvé un prétexte : l’Iran n’avait pas souscrit aux conclusions de Genève 1, c'est-à-dire à la mise en place d’un gouvernement transitoire doté de larges pouvoirs exécutifs pour en finir avec la guerre civile. Dans l’esprit des Américains, cela suppose que Bachar El Assad soit mis à la retraite, collé au poteau d’exécution ou envoyé à la Haye. Evidemment, Damas ne voit pas les choses ainsi. Ni Téhéran. Ni d’ailleurs, Moscou. Tant pis, exit les Iraniens ! L’Arabie saoudite pavoise. Elle a gagné. Sunnites : 1. Chiites : 0.

Cela fait moins l’affaire des Syriens à bout de force après trois ans d’une guerre implacable et qui comptaient sur l’autorité de l’Onu pour imposer aux belligérants des corridors humanitaires ou au moins l’accès à une aide d’urgence… Les civils sont les seuls à attendre une avancée de ces palabres genevoises. Ils veulent y croire. Ils n’ont pas le choix. Ils n’en peuvent plus de la descente aux enfers. Tout espoir est bon à prendre et ils s’y accrochent comme un naufragé à son rocher. Surtout que les combats se sont intensifiés ces derniers mois, chaque camp voulant être en position de force à l’ouverture des débats.

Genève 2 qui se tient un an et demi après Genève 1 fait comme s’il ne s’était rien passé entretemps. Sur le plan militaire, le paysage a pourtant basculé. Bachar El Assad qui se battait dos au mur a reconquis un espace vital. Avec l’aide de ses supplétifs iraniens et libanais, il a remporté la victoire de Koussayr et reconquis Homs. Sa stratégie de la terre brûlée a favorisé la logique du pire : les insurgés de l’Armée syrienne libre ont été marginalisés au profit des djihadistes les plus sectaires et des chefs de bandes mafieux. Genève 2 feint d’ignorer cette réalité du terrain, tout comme elle abandonne les civils à leur malheur. Autour de la table se pressent des diplomates et des négociateurs de toutes sortes mais aucun émissaire des combattants. Ni les fanatiques venus du Caucase, du Golfe ou du Maghreb. Ni les Pasdarans iraniens. Ni les Hezbollah libanais. Ni Al Qaida évidemment. Ni l’Armée syrienne libre. Même les dissidents de l’intérieur, pourtant tolérés par le régime, boycottent ! Tout comme le conseil national syrien qui rassemble les gros bataillons de l’opposition en exil… Ces absences en cascade donnent un caractère irréel aux débats. Tout comme le poids des représentants d’une trentaine de pays, au premier rang desquels les sponsors de la guérilla qui n’ont cessé de mettre de l’huile sur le feu.

Genève 1 s’était tenu dans le tête-à-tête entre Russes et Américains. Genève 2 marque un progrès puisqu’y participent les pays de la région et les représentants du régime. Mais cela ne suffira pas. Une guerre civile se termine parfois par un compromis négocié. Cela implique l’épuisement des combattants. Qu’ils aient abandonné l’espoir de maintenir l’adversaire la tête sous l’eau. On en est loin en Syrie. L’Iran et l’Arabie saoudite en sont encore plus loin. Ceux là se battront jusqu’aux derniers des civils Syriens. L’autre solution, c’est la victoire d’un camp et le renforcement de l’Etat. Cela parait douteux, justement parce qu’il s’agit d’une guerre régionale et d’une guerre de religion. Mais peut-être que Genève 2 permettra d’enclencher un mécanisme de dialogue aussi imparfait soit-il entre Syriens. Ce serait une première. Cela vaut le coup d’être tenté. Avant Genève 3 ou 4. C’est le seul espoir des civils d’échapper à la guerre à outrance et à ses crimes barbares.