EGYPTE: Abdel Fattah Sissi, président
Mireille DUTEIL

Au Caire, on dit que le maréchal Abdel Fattah al-Sissi craint la répétition d’un scénario à l’algérienne dans son pays. Pourra-t-il l’éviter ? Les Frères musulmans ont perdu la partie, au moins pour de longues années. Une histoire qui se répète régulièrement pour le mouvement islamiste créé par Hassan el-Banna en 1928 et qui a connu, en Egypte, plus de bas que de hauts, et nombre de longues périodes où il fut réprimé. Depuis la destitution du président élu, Mohamed Morsi, en juillet 2003, une main de fer s’est abattue sur la Confrérie. Les 1400 morts sont largement des sympathisants islamistes, selon Amnesty International. Les arrestations se comptent, elles, par milliers.

Ces dernières semaines, le régime de transition ne se contente plus de « chasser le barbu ». Les révolutionnaires du Mouvement de la jeunesse du 6 avril créé en 2008 à travers Facebook pour lutter contre l’autoritarisme d’Hosni Moubarak, et fer de lance de la contestation sur la place Tahrir au début du printemps arabe, sont à leur tour dans le collimateur du pouvoir. Deux de leurs leaders étaient arrêtés en décembre pour avoir demandé l’abrogation d’une loi qui interdit les manifestations et traduit les contrevenants devant les tribunaux militaires. Ces derniers jours, des Egyptiens opposés au retour des militaires mais farouchement anti-islamistes, ont été aussi arrêtés place Tahrir lorsqu’ils voulurent fêter le troisième anniversaire du printemps arabe. Seuls les partisans d’Al-Sissi avaient droit de citer sur Tahrir.

Une véritable « sissimania » orchestrée par le pouvoir s’est emparée d’une majorité d’Egyptiens qui voit en lui le sauveur de la nation. « Si le peuple le réclame, je serai candidat à la présidence », déclarait en janvier l’homme fort du pays. Le plébiscite (97 ?7% des voix) en faveur de la constitution soutenue par l’armée était vu comme une adhésion à sa personne. Sa récente distinction au rang de maréchal est la dernière marche avant un retour à la vie civile exigée d’un candidat à la présidentielle.

Les élections auront lieu dans trois mois et le pouvoir a inversé l’ordre électoral mis en place par le gouvernement islamiste. Logique. La présidentielle sera gagnée par al-Sissi et lui laissera les mains libres pour organiser des législatives à l’issue plus incertaine.

Le scénario est parfaitement huilé. Peut-il ramener l’ordre? Rien n’est mois sûr. Chaque mois qui passe depuis le coup d’état militaire de juillet contre Mohamed Morsi, le président élu, voit la violence s’accroître. Pourchassés, des militants et sympathisants des Frères musulmans sont passés dans la clandestinité et certains peuvent basculer dans la lutte armée. Le pouvoir la interdit la confrérie qualifiée « d’organisation terroriste ». 45% des Egyptiens ont pourtant voté pour le parti qui lui était lié aux législatives de 2012. Certes, nombre d’entre eux se sont détournés des Frères, mais ils gardent des sympathisants, sans parler des démocrates révoltés par la répression et le régime autoritaire qui se met en place.

Plus grave : cette politique répressive laisse le champ libre aux djihadistes qui, venus du Sinaï, multiplient les attentats sanglants contre les forces de l’ordre. Le 28 janvier, ils ont tué un général de police, le 29, deux policiers en faction devant une église du Caire. Le pouvoir accuse à chaque fois les Frères musulmans. Un scénario à l’algérienne n’est plus à exclure