Ghardaïa, des affrontements bien utiles ?

Que se passe-t-il depuis le 12 mars à Ghardaïa ? Plusieurs quartiers de cette ville de la vallée du M’Zab, notamment ceux de Hadj Messaoud et Mermed, ressemblent à un champ de bataille : pendant cinq jours, des dizaines de maisons, de commerces, de concessionnaires automobiles et le siège du quotidien arabophone Al Khabar ont brûlé pendant que s’affrontaient bandes organisées et forces de l’ordre.

Bilan de cette violence sans précédent qui s’est étendue au même moment à quasiment tous les quartiers de Ghardaïa : trois morts dans des conditions obscures, une centaine de blessés, dont une dizaine dans un état grave.

Selon des sources médicales, les victimes ont été tuées par « des bouts de ferraille » tirés par des armes fabriquées de manière artisanale.

Mais on ignore tout de l’origine des tirs.

Loin de ramener le calme, la visite le 16 mars du Premier ministre par intérim, Youcef Yousfi, du commandant de la gendarmerie et de l’inspecteur général de la police, a drainé une marée humaine au siège de la wilaya.

Résidence et bureaux du wali ont été pris d’assaut tandis que des manifestants remettaient une plateforme de revendications exigeant notamment le rétablissement de la sécurité.

Commerces et maisons incendiés

Ce ne sont pas les premiers affrontements à Ghardaïa.

Depuis décembre dernier, la vallée du M’Zab connaît des violences opposant deux communautés, les Mozabites (berbères de rite iba-dite) et les Chaambas (arabes).

Cocktail Molotov jetés d’un quartier à l’autre, lancers de pierres et de morceaux de fer, centaines de maisons incendiées, écoles fermées, routes coupées, créations de milices d’autodéfense : les affrontements avaient alors fait quatre morts – de jeunes Mozabites - et des dizaines de blessés avant qu’un calme précaire ne s’instaure.

La reprise des hostilités le 12 mars semble avoir pris tout le monde de court et reste inexpliquée.

Conflit ethnique entre deux communautés qui cohabitent depuis des siècles ? Conflit sur le foncier dans une région où les villes nouvelles et les villages - généralement arabes - s’étendent de plus en plus autour de la palmeraie de Ghardaïa, menaçant un système de partage des eaux remontant au XVème siècle ? « Il y a là probablement autant de problèmes fonciers que dans le reste du pays », rétorque, sceptique, le Quotidien d’Oran.

Défaillance totale de l'Etat dans une région livrée à tous les trafics ? Offensive de barons de la drogue et de trafiquants de tous poils qui, furieux du dispositif de sécurité mis en place, voudraient créer le chaos pour desserrer l’étau, comme le suggèrent des sources proches des services secrets ?

Avertissements pas pris au sérieux

Si il y a sans doute un peu de tout cela à Ghardaïa, une chose est sûre : les zones d’ombre sont multiples dans cette flambée de haine entre les deux communautés.

La première réside dans l’attitude des autorités qui avaient promis, en janvier, par la bouche du ministre de l’Intérieur Tayeb Belaïz de renforcer le dispositif de sécurité et de « le multiplier par trois, voire par quatre ».

Or, sans qu’on sache pourquoi, le déploiement policier a été revu à la baisse.

Dans plusieurs quartiers populaires, les barrages ont été levés et de nombreux cars de police supprimés en dépit des demandes répétées des populations et des avertissements des notables qui notent que le calme revenait « chaque fois que la gendarmerie intervenait pour séparer les belligérants ».

Le 15 mars, le Conseil des Sages mozabites de Ksar Ghardaïa reprochait même aux « plus hautes autorités du pays » de ne « pas avoir pris au sérieux ses avertissements lancés, le 11 mars après le retrait de forces de l'ordre de plusieurs localités (…), retrait qui a ouvert la voie à une reprise fulgurante des affrontements intercommunautaires ».

Et le Conseil demandait leur « redéploiement, rapidement, dans les localités en proie à des heurts intercommunautaires avant qu'il ne soit trop tard ».

Pour le chercheur Mohamed Hachemaoui, ce retrait a en tout cas « permis à des individus et des groupuscules de se livrer à des attaques en règle contre la communauté berbérophone et mozabite (…) alors que l’Etat est le garant de l’ordre public ».

Structures traditionnelles dépassées

Ajouté à l’absence et à la passivité des forces de l’ordre qui semblent avoir laissé pourrir la situation, le déroulement même des évènements suscite des questions : des personnes encagoulées surgissant des oasis proches attaquent de nuit ; des snipers tirent depuis les terrasses et des vidéos ont montré en début d'année des policiers soutenant la communauté arabe contre les mozabites lors d'affrontements… Certaines explications sont sans doute à rechercher dans la déstructuration même de la société, visible notamment au fait que des centaines de tombes ont été profanées à Ghardaïa: les instances de médiations traditionnelles ne fonctionnent plus et sont dépassées et les contacts entre les « sages » des deux communautés sont rompus.

Mais cela ne suffit pas à expliquer une telle explosion de violence à trois semaines d’une élection présidentielle contestée.

« Pourquoi veut-on enflammer cette région ? Il est vrai que le pouvoir a fait sienne la devise : ‘‘Diviser pour régner’’ », demande le quotidien El Watan en mettant en cause implicitement le président Bouteflika qui a « cultivé le régionalisme, le tribalisme et le clanisme, cherchant à créer des clivages entre le nord et le sud, l'est et l"ouest, les Berbères berbérophones et les Berbères arabophones ».

Tout se passe en fait comme si les groupes qui s’affrontent au sommet de l’Etat pour le partage du pouvoir après la présidentielle du 17 avril avaient au moins un intérêt commun : entretenir - à défaut de la créer - une tension en manipulant les communautarismes.

Objectif : ressouder les rangs autour du pouvoir et éviter tout débat sur le changement du système politique en agitant le spectre d’une « Algérie en danger d’éclatement ».

Une pratique assez habituelle pour empêcher toute mobilisation en cas de gros temps au sommet de l’Etat ❚