La guerre civile court plus vite que les diplomates
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Cette fois, la rupture est consommée entre la Ligue Arabe et Bachar Al Assad. Les pays arabes qui continuent à vouloir temporiser en faveur de Damas n'ont guère eu le choix. Comment rester les bras croisés face à un régime qui bombarde sans trêve depuis douze jours la ville de Homs, bastion de la résistance, faisant plus de 500 morts majoritairement civils ? L'indignation internationale provoquée par le deuxième veto russe et chinois au Conseil de Sécurité de l'ONU a fait le reste. Surtout que cette impuissance de la communauté internationale a été interprétée par Bachar Al Assad comme un «permis de tuer».

En dépit du refus du Liban qui joue la carte de la «neutralité» ou des réticences algériennes, la Ligue a donc décidé le 12 février de fournir un soutien politique et matériel à l'opposition - ce qui laisse la possibilité à ceux qui le veulent de financer et d'armer l'Armée Syrienne Libre (ASL) - et de demander la formation d'une force conjointe ONU-Arabes pour «superviser l'application du cessez-lefeu ». Les ministres arabes ont aussi «mis fin» à la mission de leurs observateurs et appelé les pays membres à rompre toutes leurs relations diplomatiques avec Damas. Mieux: les Etats du Golfe pourraient reconnaître rapidement le Conseil national syrien (CNS), principale plateforme de l'opposition en exil, comme «représentant légitime du peuple syrien».

L'obsession anti-islamiste de Moscou

Le refus «catégorique» de ces décisions par Damas est aussi peu surprenant que les nouvelles tergiversations russes. Cette fois pourtant, Moscou se garde de rejeter explicitement les décisions arabes. Il devient en effet difficile pour le Kremlin de défendre un régime qui transforme les hôpitaux en centres d'interrogatoires, pourchasse les médecins qui soignent les opposants et fait tirer sur tout véhicule transportant des blessés. Pour autant, la Russie demeure fondamentalement opposée à la chute de son principal allié stratégique au Proche-Orient et ne supporte pas, à l'instar de Pékin, l'idée même qu'un peuple puisse se révolter contre son tyran. Elle a deux autres raisons de soutenir Damas: une obsession anti-islamiste qui lui fait redouter d'être confrontée dans ses régions du Caucase à des mouvements islamistes comparables à ceux de Tchétchénie, ainsi que l'élection présidentielle du 4 mars à laquelle se présente Vladimir Poutine. S'appuyant sur l'électorat ultra-nationaliste, l'homme fort du Kremlin mène une campagne aux relents de guerre froide dans laquelle il se présente comme celui qui n'a pas peur d'affronter les Occidentaux pour imposer une Russie forte.

Ne pas donner l'impression d'un axe occidentalo- sunnite

Tout se passe en outre comme si le Kremlin voulait laisser quelques jours de répit à Bachar Al Assad pour porter un coup fatal à la dissidence armée. Il pointe donc habilement la faiblesse de la proposition arabe de créer une force de maintien de la paix. Si cette initiative est séduisante, sa mise en oeuvre apparaît en effet impossible. Moscou se fait donc un plaisir de réaffirmer la nécessité d'un cessez- le-feu préalable «car pour maintenir la paix, il faut d'abord qu'il y ait un cessez-le-feu», d'un vote sans veto au Conseil de Sécurité, de l'accord de Damas... et de l'envoi de troupes par plusieurs pays! Autant dire l'inatteignable. Pour tenter d'éviter qu'un énième blocage russo-chinois ferme la porte du Conseil, Arabes et Occidentaux n'ont qu'une issue : faire pression sur Moscou et contourner le Conseil pour mieux y revenir. Pour ce faire, ils devaient présenter jeudi soir une résolution condamnant Damas au vote de l'Assemblée Générale des Nations Unies (où le veto n'existe pas). Cette adoption aurait une portée essentiellement symbolique.

Mais, si comme le note Alain Juppé, le chef de la diplomatie française, «plus de 130 ou 140 pays au monde disent «stop, le massacre ça suffit, il faut appliquer le plan de la Ligue arabe», ce symbole aura de la force». Occidentaux et Arabes espèrent en outre mobiliser l'Afrique du Sud, l'Inde et le Pakistan, pays actuellement membres du Conseil de Sécurité qui avaient voté en faveur de la résolution présentée par la Ligue arabe, ainsi que le Brésil. Objectif avoué : ne pas donner l'impression qu'un «axe occidentalo- sunnite» mène le combat contre Damas. C'est aussi le sens de la création d'un Groupe des amis du peuple syrien, dont le président français avait lancé l'idée, en partenariat avec des pays européens et arabes. Parallèlement, il s'agit de faire condamner Damas par toutes les instances internationales possibles. Le 13 février, Navi Pillay, le haut commissaire de l'Onu aux droits de l'Homme, a ainsi dénoncé devant l'Assemblée générale de l'ONU, les «crimes contre l'humanité» commis par les forces de sécurité syriennes. Une manière d'agiter la menace d'une saisie de la Cour pénale internationale.

Le temps presse

Cette activité diplomatique tous azimuts permettra-t-elle d'amplifier l'isolement russe, condition indispensable pour renégocier l'adoption d'une résolution au Conseil ? Paris semble croire possible d'obtenir cette fois un ralliement de Moscou «car on ne peut pas avoir raison contre tous». Arabes et Occidentaux espèrent que le Kremlin consente au moins à s'abstenir par crainte d'une déstabilisation sanglante en Syrie. Difficile cependant de penser que Poutine cède avant la présidentielle du 4 mars. Alors, face au pari perdu d'avance d'une force de maintien de la paix (et au danger d'intervention militaire qu'elle comporte), les Occidentaux jouent l'impossibilité pour le Conseil de s'opposer à une initiative strictement humanitaire: la création de «corridors humanitaires permettant aux ONG d'atteindre des zones qui font l'objet de massacres». Le temps presse en tout cas sur le plan diplomatique comme sur le terrain.

Le Qatar, à la pointe du combat contre le régime syrien pour sortir Damas du giron iranien, va céder en mars la présidence de la Ligue arabe à l'Irak. Or Bagdad ne cache pas son empathie pour Damas. Si cette passation de pouvoir a lieu en l'état des choses, on risque d'assister à un clash sévère au sein de l'organisation panarabe où nombre de pays n'apprécient pas que la mobilisation du Golfe contre Damas vise en réalité à affaiblir l'Iran en privant ce pays de son seul allié arabe.

Le conflit déborde au Liban

En attendant, Bachar Al Assad, conscient de la nécessité de donner l'impression de bouger pour plaire à son allié russe, annonce un... référendum sur une nouvelle Constitution le 26 février ! Une initiative surréaliste au moment où Homs est quasiment coupée du monde, sans eau, sans vivres et sans électricité et que se multiplient les combats meurtriers entre loyalistes et déserteurs de l'armée. Quant aux bombardements incessants à Homs, c'est la réponse en forme de «punition collective » à la montée en puissance et à l'efficacité croissante des groupes armés de l'Armée Syrienne Libre qui tiennent tête à ses troupes.

Face à cette Syrie qui s'installe lentement dans la guerre civile, la question n'est pas seulement humanitaire. C'est un problème géopolitique décisif. Car s'il perdure, ce conflit risque de déboucher sur une déflagration confessionnelle majeure dans le pays. Avec tous les risques de débordement dans le Liban voisin. On en a vu les prémices les 10 et 11 février dans la ville de Tripoli où des affrontements opposant Libanais favorables et hostiles à Damas ont fait trois morts. каркасные дома из сип панелей