Grandir en s’effaçant
Vincent HERVOUET

Abdoulaye Wade a perdu son pari. Et la question est maintenant de savoir s’il va aussi rater sa sortie. Le Président sénégalais avait fait toute sa campagne en prophétisant sa réélection au premier tour. Vainqueur, seul contre tous. Il précisait même qu’il l’emporterait avec 53% des voix. Ce score flatteur aurait été en retrait par rapport à l’élection de 2007. Envisager ce léger repli de l’électorat semblait une fausse modestie, une coquetterie de politicien, une concession à l’usure du pouvoir. En réalité, il masquait une faiblesse fatale : n’ayant aucune réserve de voix et face à une opposition unie, le président ne pouvait l’emporter au second tour. Mais à force de répéter un slogan simpliste et un chiffre magique, le camp présidentiel avait fini par y croire.

Tout comme Laurent Gbagbo répétant à satiété aux Ivoiriens qu’il n’y aurait qu’une seule alternative à sa victoire… sa victoire ! Grandeur et limite de la communication politique : il y a une heure où le carrosse du Président se transforme en citrouille du vaincu, redevenu simple citoyen. Le dépouillement du scrutin porte bien son nom mais c’est le battu qui est dépouillé. Dimanche soir, l’entourage d’Abdoulaye Wade est resté pétrifié, incrédule. Le résultat du premier tour a été une douche froide, après des semaines de meeting fiévreux. Tout comme le ministre Potemkine faisant édifier des décors de villages heureux quand Catherine II voyageait en Russie pour lui masquer la misère du pays, l’entourage du président sénégalais avait très bien organisé ses tournées triomphales dans le pays, en enrôlant des figurants et en payant ceux qui l’acclamaient. Une fois la kermesse terminée, les mêmes sont allés voter pour qui leur plaisait. Et le Sénégal a connu cette scène pénible, d’un président allant voter en famille et se faisant conspuer par l’assistance. A regarder ces images, on réalise qu’Abdoulaye Wade reste incrédule.

Ensuite, il blêmit sous l’offense. Il a beau marcher à petit pas, il bouscule son propre garde du corps en montant en voiture. Sa rage fait peine à voir mais c’est un aveu. Quelques heures plus tard, sa défaite dans ses principaux fiefs, notamment Dakar, est venu confirmer ce mouvement d’humeur des électeurs. Une analyse express du scrutin établit qu’il a perdu la frange la plus jeune, urbanisée, éduquée de son électorat. Cette lassitude a toutes sortes de causes : entre les Sénégalais qui n’ont pas apprécié les tripatouillages de la Constitution qui interdit en principe au chef de l’Etat de solliciter un troisième mandat consécutif, les chômeurs qui sanctionnent la vie chère, les déçus du Sopi (changement en wolof) qui ne pardonnent pas l’enrichissement trop voyant pour ne pas être suspect d’une oligarchie arrogante, les ménagères exaspérées par les coupures de courant qui sont devenues un fléau permanent, il n’y a que l’embarras du choix. Mais Abdoulaye Wade a commis deux fautes inexpiables. La première est de s’être accroché à un pouvoir devenu de plus en plus personnel. Il est frappant que les deux candidats qui le talonnent, Macky Sall et Moustapha Niasse sont deux de ses anciens premiers ministres... Abdoulaye Wade a mené sa campagne en traitant avec la même désinvolture les manifestations quotidiennes à l’intérieur et les mises en garde à l’extérieur, notamment les inquiétudes de Paris et de Washington devant le tour sanglant pris par la campagne…

Son obstination à faire un troisième mandat a mis le Sénégal sous haute tension. Six morts officiellement dans les manifestations, dix morts sans doute, peut être quinze : les chiffres varient mais il est sans précédent dans l’histoire du pays que le sang coule. Autre première qui affaiblit la démocratie dont les Sénégalais sont fiers à juste titre, la remise en cause de l’autorité de la Cour constitutionnelle dont tous les membres ont été nommés par le Président sortant et qui a pris son parti en l’autorisant à briguer un nouveau mandat.

L’autre faute est d’avoir enrôlé les confréries religieuses dans sa campagne. En allant à Touba se prosterner devant le Khalife des Mourides pour lui arracher une consigne de vote en sa faveur qu’il n’a d’ailleurs pas obtenue, Abdoulaye Wade a rompu avec une tradition qui voulait que les Présidents ne fassent pas étalage de leur appartenance. Il a aussi choqué les fidèles des autres confréries, d’où la fureur des Tidianes quelques semaines plus tard quand un gendarme tirera malencontreusement une grenade lacrymogène dans une de leurs mosquées…

En dehors des abstentionnistes, le Président n’a aucune réserve de voix pour le second tour et ses adversaires ont scellé un pacte sous l’égide du mouvement M23 qui tient dans une phrase : «Wade dégage !». On voit donc mal comment la victoire pourrait échapper à Macky Sall, l’ancien premier ministre qui avait été répudié pour avoir voulu enquêter sur Karim Wade. Ayant perdu son pari, Wade a encore le choix. Avec ce mandat de trop, à force de braver l’opinion et de finasser avec les institutions, il a ruiné son crédit et son image. Mais il peut encore réussir sa sortie. On le sait obsédé à l’idée de laisser une empreinte au moins égale à celle de son vieil ennemi, Léopold Sedar Senghor. Le père de l’indépendance sénégalaise s’était retiré à temps, laissant la place à une nouvelle génération. En s’interdisant d’intervenir dans la vie publique, il a coulé une retraite tranquille. Wade aussi peut se grandir en s’effaçant. оптимизация сайта стоимость