Le bouc émissaire s'évade
Vincent HERVOUET

Il suffit de contempler les Pyramides : le pharaon est plus grand mort que vivant. Est-ce qu’il en sera ainsi d’Hosni Moubarak ? Sa disparition n’aura aucun impact politique, tant l’Egypte a changé en l’espace de seize mois. Est-ce que l’agonie de l’ancien président, lâché par l’Etat-major et par les Américains, conspué par la foule des manifestants, détesté par les Islamistes, dénoncé par les Libéraux, aidera à sa réhabilitation ? A voir l’indifférence avec laquelle les Egyptiens ont suivi le procès du raïs, on en doute. Sa réapparition sur une civière avait surpris plus qu’elle n’avait ému. Omnipotent et omniprésent depuis trente ans, il n’était plus que ce vieillard rabougri, diminué, déprimé.

La métamorphose soudaine suscitait la curiosité de ses compatriotes mais aucune compassion. La colère s’est réveillée quand le tribunal a abandonné la plupart des charges pour accuser le président du seul crime de passivité. Avoir laissé réprimer les manifestations qui ont conduit à sa chute. Ce tour de passe-passe a protégé l’entourage corrompu et le haut commandement militaire compromis. Accusé du minimum, Moubarak a toutefois écopé du maximum : la perpétuité. C’est le sort dévolu aux boucs-émissaires.

Pour que la démonstration soit complète, le Conseil Suprême des Forces Armées qui exerce la réalité du pouvoir a procédé dans la foulée à un coup d’état rampant. Avec l’aide de la justice, il a ordonné la dissolution de l’Assemblée élue, annulé les lois d’épuration qui avaient été votées et réduit les pouvoirs du futur président à l’inauguration des chrysanthèmes. Impavide et intouchable, le maréchal Tantaoui assume l’héritage et fait tout pour que le régime survive à la disparition du raïs. On peut même dire que Moubarak a rendu un dernier service à sa caste, en donnant au peuple qui l’avait pris en haine l’illusion d’une justice implacable. Il fallait sans doute qu’il fût traité aussi durement pour que la comédie soit crédible. Le pouvoir qui redoutait qu’on l’accuse de faiblesse a attendu dix jour avant de faire hospitaliser le malade et il ne s’y est résigné qu’en annonçant sa mort clinique…

Ce cynisme n’a pas fait illusion. La lutte à mort entre l’institution militaire et la confrérie des Frères musulmans continue. Il est trop tôt pour faire le bilan de ce règne trop long. Si les démons à l’oeuvre au Proche-Orient le replongent dans la guerre, on regrettera les trente ans de paix, la stabilité du pays, le rayonnement de l’Egypte qui servait de pivot au monde arabe et dont l’effacement se fait cruellement sentir. On parlera avec nostalgie de l’ancien régime et de son chef, si pragmatique. Si le printemps arabe tourne au mieux et que le climat s’apaise autour de l’Iran, on se souviendra de la sénilité du régime qu’incarnait « Vache qui rit », de l’économie effondrée, de la corruption révoltante des élites, de l’état obèse et impuissant, de l’impunité de la police, de cette armée parasite, de ce pays légal qui semble avoir éviscéré le pays réel…

Parmi tous les commentaires entendus place Tahrir, aucun ne prenait en pitié l’ancien président. Certains continuaient même à croire qu’il était un malade imaginaire ! Sur les bords du Nil, de l’Euphrate, du Litani, on croit plus volontiers aux machinations qu’aux infos télévisées. Personne n’a non plus réalisé qu’il s’était évadé. Qu’en ayant tout à la fois une attaque cérébrale et une crise cardiaque, il prouvait à ceux qui en doutaient qu’il possédait bien un coeur et un cerveau. Le plus étonnant est qu’à 24 heures près, le dictateur renversé meurt comme tous les dictateurs : sans connaître le nom de son successeur. ou acheter un vibromasseur