OTAGES ET GEÔLIERS
Vincent HERVOUET

Le retour des otages est une scène devenue classique dans le rituel national français bien que sans équivalent dans les autres démocraties, comme le défilé du 14 juillet ou les voeux du Président.

Sur le tarmac de l’aéroport militaire de Villacoublay, quatre reporters disparus entre Alep et Raqqa ont atterri pendant le week-end de Pâques.

Comme d’habitude, ils ont été accueillis par le chef de l’Etat venu en personne se distraire des mauvaises nouvelles qui l’assaillent à l’Elysée.

Les familles ont fêté les rescapés, émissions spéciales sur toutes les antennes et émotion garantie.

Le calendrier était heureux : le dimanche de Pâques, les chrétiens célèbrent la résurrection et la sortie du tombeau de Jésus.

Or les otages de Syrie ont passé dix mois enfermés dans des caves et leur libération est aussi un retour à la vie.

Pour filer la métaphore, on ajoutera qu’ils ont été gardés par des Judas, puisque leurs geôliers parlaient français entre eux.

Les confrères qui ont été affamés, battus, enchainés pendant des semaines les uns aux autres, privés de toute hygiène pendant de longs mois, soumis à des simulacres d’exécution, ont donc endurés cette torture de gardes qui étaient sans doute leurs compatriotes….

La leçon est amère.

Surtout pour Didier François, le vétéran et le porteparole du groupe qui fut jadis l’un des cofondateurs de « Sos racisme ».

Les trois mousquetaires de l’information qui sont quatre comme dans le roman d’Alexandre Dumas sont restés très discrets sur cette question.

Ils se taisent parce qu’ils ont laissé derrière eux, deux douzaines d’occidentaux dont plusieurs journalistes aux mains des ravisseurs de l’Etat islamique en Irak et au Levant.

Pas question de mettre en danger ces hommes dont ils ont été pendant de longs mois les compagnons d’infortune et dont ils se sentent profondément solidaires.

Mais leur libération médiatisée pose la question publiquement : comment des jeunes Français peuvent ils se retrouver garde-chiourmes d’une organisation terroriste comme l’Etat Islamique en Irak et au Levant (ISIS) qui est l’une des filiales les plus sanguinaires d’Al Qaida au point que les tribus du nord de la Syrie se sont révoltés contre son emprise et que les djihadistes syriens qui ont fait allégeance au Front Al Nosra, émanation officielle de l’organisation de Ben Laden, ont dénoncé les crimes de guerre commis par ISIS… Les estimations varient selon les experts.

Mais des centaines de jeunes ont gagné la Syrie pour y mener le djihad.

Au moins 700 s’y sont enrôlés depuis le début du conflit.

Le nombre et la cadence augmente.

Les services spécialisés évaluaient à 300 le nombre de ces djihadistes actifs sur place en janvier et à 130, ceux en transit.

Les autres ont servi de chair à canons comme kamikazes (une vingtaine), ont disparu dans le chaos ou sont rentrés en Europe comme des anciens combattants (plus d’une centaine).

Là, ils se fondent dans la masse.

D’après les estimations du pôle anti-terroriste du Parquet de Paris, 70 000 jeunes seraient radicalisés et formeraient le vivier dans lequel les recruteurs n’ont plus qu’à puiser.

Ce ne sont plus seulement les adolescents « sans père et sans repère » dont on parlait dans la dernière décennie qui basculent dans le fondamentalisme.

Les gamins qui se laissent happer par les gourous qui prêchent sur internet sont des jeunes convertis comme des enfants de l’immigration.

De plus en plus jeunes, de plus en plus ordinaires, ils se radicalisent de plus en plus vite.

Le recrutement s’est encore accéléré depuis que le régime syrien a utilisé l’arme chimique, provoquant l’indignation générale… mais pas de représailles armées.

Ce sont souvent des mineurs qui partent pour la Turquie.

De là, ils gagnent facilement le territoire contrôlé par les groupes djihadistes qui pullulent au nord et à l’est de la Turquie.

Arrivés sur place, ils servent de supplétifs aux combattants.

Et c’est ainsi que des francophones se retrouvent gardiens d’un bagne souterrain où croupissent des reporters venus couvrir une révolution qui a mal tourné.

Le gouvernement Valls a dévoilé un plan pour stopper cette hémorragie.

Il s’inspire largement de l’arsenal mis en place par les Britanniques après les attentats de Londres, commis par des résidents insoupçonnables.

Il s’agit de prévention, avec notamment le soutien aux familles qui décèlent la radicalisation de leurs enfants et de lutte contre les filières grâce à un renforcement de la coopération internationale.

Le train de mesures aussitôt présenté à une opinion publique inquiète semble dérisoire par rapport au défi mortel que constitue le terrorisme.

Au lendemain de la libération à grand spectacle des journalistes kidnappés en Syrie, le Mujao annonçait la mort d’un des deux otages français au Sahel.

Gilberto Rodrigues Leal avait été enlevé au Mali, il y a un an et demie alors que ce retraité voyageait en camping-car pour son plaisir.

Dans la galère des otages, on pourrait croire que les reporters sont en business class, alors qu’un routard se trouve en classe touriste.

Depuis le Liban, la France met un point d’honneur à récupérer par tous les moyens les journalistes enlevés alors que les autres otages courent de plus en plus de risques mortels (une douzaine a succombé depuis quatre ans…).

Mais la vérité profonde, c’est la haine inexpiable que trahit le message du Mujao clamant : «Il est mort, parce que la France est notre ennemi ! ».

La lutte contre le terrorisme est bien une affaire de police qui réclame la plus grande fermeté.

Mais le nihilisme d’une partie de la jeunesse, le dégoût de soi qui pousse des apprentis terroristes à s’enrôler contre leur pays pose des questions auxquelles ne répondra pas une meilleure surveillance des frontières… ❚