La fausse monnaie chasse la bonne
Vincent HERVOUET

En Sicile, dans les années 80, la Mafia a réagi de façon brutale et expéditive à l’opération « Mains propres » lancée par quelques magistrats courageux. La vie de ces fonctionnaires était en jeu. À Palerme, on dit qu’elle ne valait « pas plus qu’un bouton sur la veste ». La police italienne leur a alors assuré une protection H24 : des gardes du corps en permanence, une escorte, une voiture à l’épreuve des balles. Mener « la vie blindée » est pénible, comme une garde à vue. C’est aussi une preuve de vertu : la mafia ne met pas un contrat sur votre tête sans raison. C’est du moins ce que croient les esprits simples. Mais la Sicile est tortueuse et la lutte du bien contre le mal peut l’être aussi. Les magistrats siciliens les plus douteux, ceux que la rumeur désignait comme des « hommes d’honneur », ceux que l’on savait capables d’égarer une pièce à conviction décisive ou de commettre l’acte qui conduirait à l’annulation automatique d’une sentence ont réclamé une protection, en se prétendant la cible de tueurs imaginaires. Ils l’ont souvent obtenue, grâce aux témoignages de repentis manipulés par les mafieux. Au bout du compte, les convois circulant pied au plancher et sirènes hurlantes se sont multipliés dans les rues de Palerme. Et l’aura des juges anti-mafia s’en est trouvée ternie.

Le propre des « opérations mains propres », c’est qu’elles ne le restent pas longtemps. La nouvelle direction chinoise vient d’édicter des règles pour imposer à ses représentants de la discrétion, en espérant leur rendre un peu de dignité. Les communistes vont faire une cure d’austérité. De quoi calmer la haine vengeresse qui monte des profondeurs du pays contre les privilèges exorbitants que s’octroient les potentats du parti. Autrefois, on aurait parlé de lutte des classes. La chasse au gaspillage qui vient d’être lancée bannit les banderoles de bienvenue, les tapis rouges, les parterres de fleurs, les grandes réceptions qui accompagnent où qu’il passe l’apparatchik en tournée d’inspection. Ces visites, qui sont la marque du régime, devront être plus rares et les délégations moins nombreuses. On se demande ce que les chaînes de la CCCTV vont pouvoir mettre dans leurs journaux télévisés dont c’est l’essentiel, l’ouverture obligatoire et le sommaire assommant. L’avènement du nouveau numéro 1 marque ainsi la fin d’un style de facture soviétique. Le premier discours de Xi Jin Ping était un choc : il était court, écrit dans une langue simple et s’est terminé dans un sourire. Une révolution…

Le communiqué publié par la presse étatique après la réunion des 25 membres du bureau politique, le noyau du régime, (« la coupole » en Sicile…) reste un modèle du genre. Il claironne que la lutte finale est engagée contre la corruption. Tout comme l’abolition de l’esclavage ou l’éradication de la tuberculose, c’est une annonce rituelle. Et cela reste un vœu pieu. Le propre des luttes finales, c’est qu’elles ne le sont pas. Le combat sans cesse recommencé paraît vain : il tient à la nature humaine. Les communistes ne pouvant l’admettre préfèrent chercher des saboteurs. Ils en trouvent. Le bouc émissaire cette semaine se nomme Li Chuncheng. Il était vice-gouverneur du Sichuan. Le parti a ouvert une enquête pour corruption : il aurait accordé des faveurs au conglomérat Borui (médias, hôtellerie, pharmacie, construction, etc.). Le cours de l’action à la bourse de Shanghai s’est effondré en même temps que chutait l’oligarque. C’est une bonne illustration du risque de voir l’économie chinoise pâtir des luttes de pouvoir que révèlent ces affaires de corruption.

Depuis qu’a éclaté le scandale Bo Xilai, il ne se passe pas une semaine sans qu’un haut responsable soit limogé. Certains risquent la condamnation à mort. Le rythme des arrestations s’accélère à mesure que le procès approche. À l’évidence, Xi Jin Ping veut être crédible quand il prétend faire « respecter l’autorité de la constitution et de la loi » comme il l’a proclamé mardi dans un discours solennel à la télévision. Mais personne n’imagine que le premier ministre Wen Jiabao rende des comptes sur la fortune qu’il a accumulée et qui est estimée à 2, 7 milliards de dollars. Ni que sa propre mère, ancienne institutrice, explique d’où proviennent les 120 millions de dollars qu’elle a investis l’an dernier. Il y a quand même du nouveau en Chine. Le ralentissement de la croissance aiguise les tensions sociales. Elle impose à l’oligarchie au pouvoir un minimum de discrétion. La corruption n’étant plus invisible, l’impunité n’est plus assurée.

 

Il y a quand même du nouveau en Chine. Le ralentissement de la croissance aiguise les tensions sociales. аккумулятор для айфон 6 купить