France-Maghreb : Des amis turbulents

Quels que soient les gouvernements français, de droite ou de gauche, ils ont un égal souci : maintenir d’excellentes relations avec les pays du Maghreb. Ils sont ses voisins et ses alliés. L’Histoire, l’amitié souvent, l’intérêt toujours, lient les deux rives de la Méditerranée.

Par : Mireille Duteil

Si jamais la France venait à l’oublier, elle serait rappelée à l’ordre. Par les nombreux hommes politiques français nés au Maghreb et qui constituent de solides groupes de pression pour leur terre natale respective (en particulier au Maroc et en Tunisie), mais aussi par le poids des communautés d’origine maghrébine, devenues françaises ou non. Elles forment un maillage serré, une véritable toile d’araignée entre les deux rives.

Paris n’a pourtant pas toujours la tâche facile. Si ses relations avec Rabat et Alger sont deux constantes, deux piliers de sa politique étrangère, la brouille entre le Maroc et l’Algérie, est source de rivalités pour tenter, de part et d’autre, de faire tomber les autorités françaises dans son escarcelle. Certes, suivant la couleur politique de l’équipe au pouvoir en France, les nuances peuvent être importantes. Pour la droite française, le Maroc est un ami de cœur. Pour la gauche, l’Algérie est sa mauvaise conscience. Mais pour les deux, Rabat et Alger, Alger et Rabat, sont indispensables et irremplaçables. Et sont un casse-tête diplomatique quand vient le moment du choix d’un voyage.

Nicolas Sarkozy l’a appris à ses dépens en arrivant au pouvoir. Fraîchement installé à l’Elysée, l’ancien président, désireux de prendre le pouls des capitales maghrébines sur son projet d’Union de la Méditerranée, décida de se rendre dans les trois capitales. Dans quel ordre ? Où passer la nuit ? Il réalisa bien vite que son souci de « rationaliser le temps présidentiel » se heurtait aux susceptibilités de chacun. La tradition veut qu’un nouveau président français accomplisse d’abord au Maroc son premier voyage officiel au Maghreb. Il ne pouvait donc être question de commencer par Alger et de dormir ensuite à Rabat. Le Maroc souhaitait un voyage pour lui seul. Il l’obtiendra, ensuite. Et Nicolas Sarkozy se rendit seulement à Alger et à Tunis. Ses relations avec le Maroc commencées fraîchement, se réchauffèrent largement ensuite.

La semaine prochaine, le premier voyage de François Hollande au Maghreb, aura lieu en Algérie. Pour désamorcer une éventuelle inquiétude, Hollande a pris soin d’envoyer cette semaine, à Rabat, en éclaireur, son Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Et pour bien marquer la continuité de l’amitié franco-marocaine, les deux Premiers ministres, l’islamiste et le socialiste, vont présider le onzième séminaire intergouvernemental. Une rencontre symbolique initiée par Lionel Jospin en 1998. Un moment privilégié entre les deux pays. Lors d’une précédente réunion où nous avions pu être présente un moment, la proximité des responsables était palpable. La moitié des ministres, sortis des mêmes écoles, se tutoyait et avait un langage commun. Une expérience difficilement transposable, sauf peut-être entre Français et Allemands.

L’inquiétude marocaine face à l’élection de « Hollande l’Algérien », avait été désamorcée dès le lendemain de l’intronisation du nouveau président français, le 24 mai. Le roi Mohammed VI (en visite privée en France) avait été le premier chef d’état étranger reçu par Hollande. Le nouveau président avait téléphoné au président Abdelaziz Bouteflika la veille. Toujours un souci d’équilibre.

On peut penser que la semaine prochaine, François Hollande devra de nouveau expliquer aux Algériens que la France ne privilégie pas le Maroc à leur détriment. Les relations franco-algériennes sont compliquées. En Algérie, certains anciens estiment que 132 ans de colonisation subie leur ont donné des « droits » sur leurs voisins pour entretenir des relations privilégiées avec Paris. Feignant d’oublier que, de part et d’autre, les relations franco-algériennes, au-delà des intérêts économiques évidents, sont d’abord des problèmes de politique intérieure. Les périodes électorales sont là pour le rappeler : la droite dure française et des caciques du FLN haussent le ton pour éviter toute réconciliation. Les deux bords ont fait capoter le traité d’amitié que Jacques Chirac avait proposé à Abdelaziz Bouteflika, il y a dix ans. Aujourd’hui, celui-ci affirme vouloir regarder vers l’avenir. Il semble sincère et veut rester dans l’Histoire comme le De Gaulle algérien. François Hollande, d’une autre génération, veut tourner la page de la guerre d’Algérie.

Rien ne sera facile – ni même possible – tant que le Maroc et l’Algérie ne se seront pas réconciliés. La France peut-elle y aider ? Elle est probablement la plus mal placée pour y réussir. Pourtant, alors que l’Europe s’enfonce dans la crise économique, que le Maghreb croule sous le poids d’une jeunesse désoeuvrée et mal formée, Paris tient un joker : celui de pousser les deux capitales, même indirectement, à repenser au Grand Maghreb, à créer des économies complémentaires et à développer des échanges de services, de marchandises, en attendant que les hommes se retrouvent. english to korean translator