Libre cours
Naim KAMAL

Du 14 au 16 mai, plusieurs centaines de représentants de la Tarika tijânyya se sont retrouvés à Fès, histoire de se recueillir sur la tombe du fondateur de la confrérie, Cheikh Sidi Ahmed Tijani, mais aussi et surtout pour les maîtres soufis, savants, chercheurs, disciples et adeptes de cette Tariqa en provenance d'une cinquantaine de pays, surtout africains, d’opérer un retour aux sources de la zaouïa. Des sources dont on retrouve la quintessence dans le message que le souverain marocain a adressé aux participants aux 3e assises internationales des Tijanes : Le choix de Fès en 1798 comme lieu de résidence et de sépulture par Sidi Ahmed Tijani, le rôle déterminant de la zaouïa dans la région subsaharienne et le Sahel occidental et enfin la refondation d’une optique unitaire résolue pour la sécurité spirituelle et qui a pour mission majeure de répandre les valeurs de la tolérance. Mais le personnage du cheikh fondateur de la zaouïa est sujet depuis 2007, du moins publiquement, d’une controverse maroco-algérienne sur les origines du guide spirituel des Tijanes. Est-il Marocain ou Algérien ? Pour ses assertions, Alger s’appuie sur sa naissance à Aïn Madhi, partie de l’Algérie, qui, elle, n’existe dans ses frontières actuelles que depuis 1962. Les arguments du Maroc ne rentrent pas dans ces arguties généalogiques. Le vénérable guide est enterré à Fès et son mausolée est un passage obligé pour les pèlerins tijanes. La tijanie, si on peut l’appeler ainsi, n’est pas une nationalité mais une croyance et une foi transfrontalières et ses adeptes sont libres de se reconnaître dans l’ascendance spirituel de Fès ou de Aïn Madhi, sachant que les disciples se recueillent sur al-lahd (le tombeau) et non pas al-mahd (le berceau). Mais Alger n’entend pas bénir les assises de Fès. Sinon ce serait un évènement. Donc elle sort de son sommeil un vague « Kalifat général » de la confrérie Tijânyya, Ali Tidjani, pour affirmer mercredi à Ain Madhi (Laghouat) que les activités organisées sans la consultation du Kalifat général n'engagent en aucun cas la confrérie. L’agence de presse algérienne APS qui rapporte la déclaration ajoute que l’auto-mandaté Kalife général de la Tijânyya se prépare à accueillir dans les prochains jours « une délégation composée de plus de 250 personnes du Sénégal, de Gambie, de Mauritanie et d'autres pays pour réitérer l'attachement et l'allégeance au règne du Cheikh et de ses petits enfants à Ain Madhi. » Un de plus ou un de moins, on va dire que ce n’est qu’un contentieux supplémentaire entre les deux pays. Pour ceux qui veulent en savoir plus, je conseille « la Tijânyya, les origines d’une confrérie religieuse au Maghreb » de Jillali El Adnani (édition Marsam). Une histoire qui commence en 1781 dans une Algérie ottomane aux frontières floues, et connut son essor à partir de Fès en 1798 avant de s’étendre à l’Afrique subsaharienne. Très célèbre mais peu connue, la Tijânyya garde ses mystères pour le grand public. Jilali El Adnani s’attache à traquer le parcours de son fondateur, Sidi Ahmed at-Tijâni, ses idées et ses innovations au sein du cercle des tariqas. Son ouvrage aide à mieux comprendre un phénomène qui est venu s’ajouter à l’héritage que dispute l’Algérie au Maroc.