A Paris, comme à Alger
Vincent HERVOUET

Les élections européennes n’ont jamais servi à grand-chose, sinon à défouler les électeurs. Tous les cinq ans, la presse qui est souvent geignarde y trouve l’occasion de désespérer des peuples de la démocratie qu’ils ne mériteraient pas. Cette année, c’est encore pire. Les deux tiers des Européens ont boudé les urnes. Ceux d’Europe de l’est qui ont beaucoup reçu font comme s’ils n’attendaient plus rien de l’Union. Ceux du nord se méfient et savent que les députés ont de gros salaires et de petits pouvoirs. Ceux du sud qui sont ruinés détestent l’Europe comme on maudit un médecin intraitable mais incapable de vous guérir. Ainsi, la participation qui dépassait les 60% quand l’Union rassemblait neuf pays à la fin des années 70 s’est réduite de moitié alors que l’Europe se conjugue à 28. L’arithmétique dit assez simplement combien l’utopie européenne s’est dissipée au fur et à mesure que l’union s’étendait. Mécaniquement, les partis radicaux qui ont des militants déterminés en tirent des scores flatteurs. Le parlement européen qui est une sinécure pour les apparatchiks des partis dominants venus y couler une retraite tranquille offre aussi un porte-voix flatteur aux partis anti-système. Les seuls pays où la participation est en progrès en 2014 sont ceux où les souverainistes se sont mobilisés, pour dire tout le mal qu’ils pensent de l’Union telle qu’elle est, insensible à la colère des peuples et à la souffrance des nations. Le Front national arrive ainsi en tête en France, Ukip réalise la percée attendue au Royaume-Uni comme le Parti du peuple Danois à Copenhague… Comme toute règle a ses exceptions, les Néerlandais n’ont pas donné à Geert Walders la victoire espérée : ils sont tellement europhobes qu’ils ont rejeté jusqu’aux élections européennes. Mais partout ailleurs, l’isoloir est un «gueuloir », une façon de manifester sa mauvaise humeur contre ceux qui gouvernent et les esprits forts qui les entourent. Sur le building moderniste de la Commission à Bruxelles, une banderole proclamait : « Cette fois, c’est différent. Votre vote compte ! ». Un slogan flatteur qui laisse entendre que le nouveau Parlement aura davantage de pouvoirs puisqu’il devra voter la confiance… à la future Commission. Ceux qui sont étrangers aux intrigues qui entourent la succession de Barroso ont surtout retenu que depuis 35 ans, leur vote ne comptait pas! C’est l’aveu tardif que l’Europe s’est toujours faite en cachette des peuples. Et s’il le faut malgré eux, quand il a fallu annuler des référendums perdus. Mais cet aveu est un demi-mensonge. La vérité difficile à avouer, c’est que cette fois ci non plus, le vote ne compte pas. « C’est pour rire » comme disent les enfants. On fait semblant de pleurer mais c’est pour rire… En France par exemple, François Hollande est intervenu solennellement à la télévision au lendemain du scrutin. Le Président français a noté que les socialistes rassemblaient misérablement 14% du corps électoral mais la seule leçon qu’il tire de la déroute de ses amis, c’est qu’il ne doit surtout pas changer de politique… Idem, à droite : l’UMP est dépassé de 4 points par le Front national. Le parti conservateur paie les querelles de ses chefs et leurs divergences profondes sur le projet européen. Mais au soir de cette défaite sans précédent, Alain Juppé qui se veut la voix de la sagesse au sein d’une droite sans tête, expliquait qu’il fallait additionner aux voix de l’UMP celles des fédéralistes de l’UDI… Autrement dit, l’électorat peut bien se droitiser, le parti gardera le cap au centre ! Ceux qui espéraient que les frontières de Schengen ou le dumping social seraient remis en cause étaient bien naïfs. Pour les grands partis français, la seule élection qui compte avec l’électeur sous la V° République, c’est la Présidentielle. Le rendez-vous est en 2017. Les champions des deux camps ont déjà anticipé que Marine Le Pen se qualifierait au premier tour. Et qu’elle serait forcément battue au second, quel que soit son adversaire, par le front républicain. Avec cette union sacrée, la classe politique écervelée s’imagine avoir trouvé la martingale idéale pour se perpétuer au pouvoir. Comme si la démocratie pouvait se faire sans le peuple. Comme si le fossé pouvait encore se creuser entre les Français et leurs dirigeants sans risque d’accident. A Paris, cette semaine, on se croyait à Alger autant qu’à Bruxelles ❚