« Tondre le gazon ! »
Vincent HERVOUET

Tôt ou tard, la trêve. Forcément. Après une offensive terrestre israélienne que le refus du cessez-le-feu des groupes armés palestiniens aura légitimée ? En tout cas, ce sera avant que l’indignation des opinions publiques ait obligé Barack Obama à sortir du silence ou les dirigeants européens à abandonner leur prudente inertie. Le monde semble aux abonnés absents. Ne souhaitant plus se mêler d’une guerre, devenue une routine atroce. Et dont les protagonistes n’ont aucune intention de sortir. La bataille en cours à Gaza est meurtrière et stérile. Elle ne changera rien, elle ne sert à rien. Tout comme l’opération « Plomb durci » de 2008 ou l’opération « Pilier de Défense » de 2012, les Israéliens bombardent les groupes armés pour neutraliser leurs arsenaux qui sont désormais répandus sur tout le territoire de Gaza. Il s’agit juste de réduire leur capacité de nuisance. Tsahal fait la guerre comme le banlieusard tond son gazon. Régulièrement, sans fin. C’est ainsi que les conscrits israéliens parlent du nettoyage récurrent des rampes de lancement de roquettes du Hamas : tondre la pelouse ! Sous les bombes, les civils endurent, les familles enterrent leurs morts, les Palestiniens se résignent à subir la terreur. Celle qu’impose le Hamas et celle qu’inflige l’armée ennemie. C’est la logique fatale dans laquelle ce conflit s’est perdu : il est de plus en plus violent et cette violence a de moins en moins de sens. La guerre tourne en boucle et plus aucun leader politique n’a le pouvoir de briser le cercle vicieux. Les dirigeants du Hamas sont divisés. La branche politique négocie au Caire et la branche militaire s’indignant de ne pas avoir été associée aux palabres, continue de tirer des roquettes. Les artilleurs s’arcboutent sur le terrain où chaque mort renforce leur défi de faire durer le conflit. A Ramallah, Mahmoud Abbas se tient comme un otage. Il fait des phrases et parle dans le vide. Benyamin Netanyahou, qui n’a jamais cru aux espoirs d’Oslo, a depuis longtemps choisi la fuite en avant. Mieux vaut une guerre permanente à feux doux, un entre-deux guerres permanent plutôt qu’une paix dont le prix serait exorbitant : l’arrêt de la colonisation, l’abandon de l’utopie du grand Israël et la restitution de pans entiers de la Cisjordanie. Même s’il se résignait à cette potion amère, même s’il choisissait la paix, on voit mal où le Premier ministre israélien trouverait une majorité pour la voter. Ni comment il ferait admettre ce pari à l’opinion israélienne tant que les Islamistes refuseront de reconnaitre le droit à l’existence d’un état juif. Déjà, il a été contesté par les députés de son parti le Likoud en acceptant une trêve et son propre vice-ministre de la Défense a parlé de risque de mutinerie ! Le scandale va durer. Des Palestiniens continuent de mourir. Deux cents en dix jours. Autant de familles dévastées et autant de sacrifices inutiles. Les Israéliens mettent en avant les précautions qu’ils prendraient pour épargner les civils : les annonces par tract ou par téléphone pour faire évacuer des quartiers entiers avant les bombardements, l’utilisation de missiles guidés par laser dont la précision est de cinq mètres… C’est une caricature de guerre asymétrique. Au large patrouillent en effet les corvettes ultramodernes qui empêchent les commandos du Hezbollah ou du Hamas de s’infiltrer, une frontière aussi étanche que le mur qui empêche les kamikazes de se faire sauter au milieu de la foule israélienne. Et le dôme de fer qui abat les roquettes qui tentent de toucher Tel Aviv ou son aéroport comme si c’était un ball-trap. L’envoi de quelques drones ne fait pas illusion : aujourd’hui encore plus qu’hier, les Palestiniens n’ont que des pétoires à opposer à un ennemi dont la supériorité militaire est écrasante. D’où l’erreur fatale après l’intifada d’avoir accepté la confrontation sur le terrain militaire. Un jour, les Palestiniens réaliseront que les kalachnikov, les fusées Grad et les ceintures d’explosifs ont été leurs pires ennemis. Aujourd’hui retranché dans son donjon, Israël se croit inexpugnable. « Quelle illusion! », disent les moralistes qui vivent sur la planète Mars, les philosophes qui ont le sens de l’histoire et les experts stratégiques qui ont l’oeil sur les statistiques démographiques. Elles prédisent que les juifs seront demain minoritaires en Israël. Et qu’il est impossible d’enfermer quatre millions de voisins à huis clos ou de les maintenir la tête sous l’eau ❚