Libre cours
Naim KAMAL

C’est bien triste de commencer la saison par l’affrontement entre Marocains et Subsahariens dans le quartier Boukhalef à Tanger. Un mort et plusieurs blessés. Un mort égorgé. Un noir. Dans cette confrontation générale, le mort aurait pu tout aussi bien être Marocain. Je dis Marocain comme si Marocain est antinomique avec noir, alors que dans notre majorité nous sommes café au lait. D’ailleurs, c’est une question qui aurait pu intéresser le recensement général de la population et de l’habitat : Déterminer la couleur des Marocains. Mais c’est peut-être sans importance, dans une rue de Paris ou d’Amsterdam je ne suis pas sûr qu’ils font la différence entre un noir et un Maghrébin, ce dernier leur étant plus insupportable que le premier. Parce qu’en plus, le plus souvent, il est musulman. Comme quoi on est toujours le racisté de quelqu’un.

J’ai déjà eu à l’écrire, je le répète : Quand vous croisez un Subsaharien dans une rue marocaine, pensez à un Marocain dans une rue de Vienne. Mais il est peu probable que cette supplication ait une quelconque signification pour le petit Marocain de Boukhalef. Lui, la banlieue parisienne il en rêve, et pas que dans son sommeil.

Abominable et minable tout court aussi. Horrible, atroce, dramatique, barbare et je peux encore aligner sur toute la longueur de la page tous les mots qui peuvent témoigner de mon émoi. Mais une fois que j’ai dit ça, que me reste-t-il ? Mes yeux pour sangloter ? Je n’aurai alors plus de larmes pour pleurer les Palestiniens de Gaza, les Syriens de Syrie, les Libyens de Libye, les pays victimes de l’Ebola et, comme il y a longtemps, les Vietnamiens du Vietnam quand les Américains les gazaient au Napalm.

Je ne suis même pas sûr que je pourrai qualifier ce qui s’est passé à Boukhalef d’actes racistes, tant il est d’abord difficile à définir, tant les évènements de Tanger ressemblent à un affrontement communautaire ou ethnique du genre, toute proportion gardée, de celui qui a opposé les Tutsis et les Hutus au Rwanda. J’aurais pu dire aussi entre bandes de rue rivales qui vivent en permanence dans la promiscuité. Selon un témoin oculaire, tout a commencé par une altercation entre deux vendeurs au sol (ferracha) avant que des Subsahariens rejoignent le Subsaharien et des Marocains le Marocain. Ce n’était pas la première fois, sauf que celle-ci a connu un dénouement dramatique. Ce ne sera pas - devrais-je dire malheureusement ? - la dernière. Le problème est là pour de longues années. Ce racisme a quelque chose encore de plus hideux que le racisme dit ordinaire. Il se déroule entre deux indigences qui se disputent la misère. Robert Sabatier disait bien que « le racisme est une manière de déléguer à l’autre le dégoût qu’on a de soi même »