Chronique d’un été de guerres
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L’été a été terrible. Pas facile du coup de reprendre la plume sans esquisser le bilan de bouleversements qui, au Proche et Moyen- Orient, remettent en cause les frontières Sykes-Picot héritées de la fin de la première guerre mondiale. Soubresauts aussi en Europe où, symbole redoutable, les célébrations du débarquement allié, qui mit fin à la deuxième guerre mondiale, s’accompagnent d’un nouveau conflit provoqué par la nostalgie impériale de Vladimir Poutine en Ukraine, conflagration qui repose la question des relations entre la Russie, son ancien empire et l’Europe.

C’est incontestablement l’avancée fulgurante de l’Etat Islamique qui a marqué l’été.

 

La progression de ce groupe, qui entend recréer un « califat islamique » à cheval sur la Syrie et l’Irak et occupe un tiers du territoire de ces deux pays, pose une question fondamentale : qui est responsable de la montée en puissance de ces djihadistes qui ont prouvé leur capacité de mener une conquête territoriale classique et une guérilla terroriste ? En Irak, le sectarisme communautaire de l’ex-premier ministre chiite al Maliki a ouvert la voie à un revanchisme sunnite que l’Etat islamique a capitalisé en recrutant les anciens responsables de l’armée et des services de sécurité irakiens marginalisés après la chute de Saddam Hussein. Mais c’est le refus occidental d’aider les rebelles syriens, y compris lorsqu’ils ont affronté militairement et seuls l’EI en Syrie, qui a permis aux djihadistes de remplir le vide et de prospérer. Plus qu’une faute morale, c’est une faute politique majeure. « Si Obama était intervenu hier en Syrie, il n’aurait pas à intervenir aujourd’hui en Irak », résume l’ex-secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Si l’armement des Kurdes irakiens par les Occidentaux, puis les raids américains contre l’EI ont quelque peu ralenti son avancée, rien n’est réglé. « Trop peu et trop tard », est-on tenté de dire face à la complexité de la situation créée par son ascension. Car Assad « découvre » soudain le danger de ce groupe et propose aux Occidentaux de « coopérer » avec eux. Comme si on pouvait oublier que les bombardements de Damas ont méthodiquement épargné l’EI pour frapper uniquement les rebelles de l’opposition modérée, libérale ou islamiste. Au point qu’on a accusé ce groupe d’être peu ou prou une créature de Assad. Le dictateur syrien espère néanmoins utiliser la lutte contre les djihadistes et l’émotion créée par les mises en scènes de leurs atrocités pour réintégrer la communauté internationale qui s’inquiète de voir l’hydre djihadiste s’étendre par le biais des quelques 12.000 volontaires étrangers partis d’Europe, du Maghreb et des Etats-Unis rejoindre l’EI. Les Occidentaux ont opposé une fin de non recevoir au tyran. Jusqu’à quand ? La question se pose d’autant plus que les États du golfe soupçonnés de complaisance, voire plus, à l’égard des djihadistes ne sortent pas vraiment de leur ambiguïté et que Obama ne semble pas décidé à voir les Américains jouer les éternels pompiers.

Entre Israéliens et Palestiniens, la logique militaire ne peut rien régler.

 

A Gaza, les deux parties ont fini par conclure un cessez-le-feu et un accord a minima qui ne règlent rien après cinquante jours de combats très meurtriers. Comme il se doit, les deux camps crient victoire. Hamas pour avoir réussi à tirer 5000 roquettes vers le territoire israélien et contraint l’État hébreu à vivre au rythme des sirènes d’alarme. Les islamistes Palestiniens n’ont pourtant pas de raisons de pavoiser : même si des points de passage vont être entrouverts, ils n’ont pas obtenu satisfaction sur leur revendication essentielle, la levée du blocus imposé par Israël et l’Egypte sur Gaza. Militairement, les assassinats ciblés de deux hauts commandants de leur branche armée leur ont porté un coup dur. Quant à Benyamin Netanyahou, les divisions du cabinet israélien et la chute de sa cote de popularité à 38% (-17% en quelques jours) montrent le dérisoire de ses auto- satisfecit. D’autant que les négociations prévues dans un mois sur la démilitarisation de Gaza voulue par le premier ministre israélien ont fort peu de chances d’aboutir. Autre difficulté pour Israël : la « résistance armée » du Hamas a marginalisé les combattants du Fatah et affaibli le président Abbas au sein de la population palestinienne. Comme c’est aussi l’un des objectifs non dit du Hamas et que les dirigeants israéliens sont incapables de prendre des décisions politiques susceptibles de relancer un dialogue - à commencer par l’arrêt de la colonisation -, la tragédie peut encore durer longtemps. 2000 morts Palestiniens, 475 000 réfugiés et 70 morts Israéliens n’auront servi qu’à une chose : montrer que la logique militaire ne peut rigoureusement rien régler.

En Libye, la guerre de clans et de tous contre tous a conduit le pays au bord de l’effondrement.

 

Deux gouvernements et deux Parlements concurrents existent désormais et le pouvoir politique est impuissant face au règne de milices surarmées et au chaos créé par les groupes djihadistes qui prolifèrent dans l’Est du pays. Voulant chacune leur part de pouvoir politique et de ressources économiques, les milices de Zenten et de Misrata, deux anciens bastions anti-Kadhafi, se livrent une bataille féroce. La complexité des forces en présence – constituée à partir de bases territoriales et d’appartenances tribales, claniques et/ou djihadistes - rend toute intervention étrangère aléatoire. Mais la poursuite de l’anarchie menace de déstabiliser toute la région, à commencer par la Tunisie.

En Europe, le Kremlin ne supporte pas que l’Ukraine, cette ex-République soviétique se tourne résolument vers l’Europe et l’Otan.

 

Difficile de ne pas voir dans « l’opération humanitaire » initiée par Moscou à la frontière ukrainienne une couverture à une invasion indirecte pour prêter main forte aux séparatistes dans le conflit qui ravage l’est de l’Ukraine : plus de mille soldats russes combattent en effet l’armée ukrainienne et 20 000 sont massés le long de la frontière. En Russie même, Poutine tire avantage de cette crise pour renforcer encore son pouvoir et sa domination car les Russes sont humiliés par les sanctions contre leur pays et ce qu’ils considèrent être l’arrogance des Européens et des Américains à leur encontre. Les Occidentaux menacent de renforcer ces sanctions. Sans se presser pour cause de divisions et d’intérêts divergents.

En Afrique, l’Ebola, cette « maladie de pauvres gens dans des pays pauvres »

 

pour reprendre les termes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), a été très sous–estimée alors que MSF tirait la sonnette d’alarme depuis juin. Jugée hors de contrôle, elle stigmatise toute l’Afrique, isole les pays concernés, menace de paralyser les économies africaines et d’amplifier l’analphabétisme et les croyances car elle s’accompagne des rumeurs les plus folles sur l’origine et la transmission de la maladie. Le déni d’Ebola contrecarre les efforts des médecins, des infirmiers, des épidémiologistes et les mesures de désinfection et de sécurité. Mais l’épidémie est avant tout révélatrice de l’absence de capacité de surveillance sur le continent noir et de l’état catastrophique des systèmes de santé, particulièrement dans des pays qui sortent de guerres civiles comme le Libéria ou la Sierra Leone. D’où l’urgence d’une coopération nord- Sud en matière d’épidémies.

En Algérie, la fossilisation de la vie politique reste la règle, les règlements de compte dans le sérail aussi.

 

Abdelaziz Belkhadem, ex-patron du FLN, chef de file du courant islamo-conservateur de l’ancien parti unique, a été limogé brutalement de son poste de conseiller présidentiel et de toutes ses « activités liées à l’État » par Abdelaziz Bouteflika. Ou par ceux qui parlent en son nom. Dans l’opacité ambiante, une explication/rumeur émerge : la participation de Belkhadem - qui aurait déjà eu le tort de demander une élection à bulletin secret du futur dirigeant du FLN - à une réunion d’opposants aurait fortement déplu à l’entourage du président algérien, notamment à son frère Saïd. Surtout au moment où la santé du chef de l’État se dégraderait sérieusement.

En Turquie, Recep Tayip Erdogan est arrivé à ses fins : devenir président.

 

Élu, l’ex-premier ministre islamiste, qui a provoqué colère et contestation des libéraux et de l’opposition en tentant d’islamiser le pays, s’est posé en « réconciliateur » en vue d’un « nouveau futur ». Celui qui est apparu comme l’artisan d’une économie à succès - même si celle-ci donne quelques signes de ralentissement - et comme le garant de la stabilité turque dans une région en plein chaos, saurat- il répondre aux besoins de modernisation d’une partie de la société et résister à ses penchants autoritaires et au conservatisme de son parti, l’AKP ? A voir. D’autant que Erdogan ne cache pas son intention de rester au pouvoir jusqu’en 2023, date du centenaire de la République ❚