La Puissance pauvre
Vincent HERVOUET

Lambition de Vladimir Poutine dépasse de loin le Donbass. Ce n’est pas pour tailler un Etat croupion ou pour intimider ses voisins immédiats de la Baltique à l’Asie centrale que le Kremlin a fabriqué et entretient un conflit dans l’est de l’Ukraine. Il s’agit de retrouver une fierté. Des racines. Un statut. C’est une révolution conservatrice que le président russe a engagée. Son discours qui exalte l’homme russe rappelle l’utopie de l’Homme nouveau que les communistes prétendaient faire advenir. D’ailleurs, Vladimir Poutine explique à chaque occasion que le monde va plus mal depuis que la Russie a été mise à l’écart. Que la faute en revient aux Américains. Du Kosovo à l’Afghanistan, des révolutions arabes à la promotion de l’homosexualité, le chaos qui prolifère est « made in US » ! Et tant pis, si Barack Obama si pusillanime en politique étrangère, hésitant au point d’être faible, correspond peu à l’ennemi obstiné que pourfend Moscou. A coup de provocations, en manipulant sans vergogne l’information, Vladimir Poutine a conforté son pouvoir. Populaire comme jamais, il domine le jeu politique. L’union sacrée lui laisse les mains libres pour verrouiller l’espace public. Les Occidentaux réunis pour le sommet de l’Otan se sentent impuissants et s’interrogent : jusqu’où ira-t-il ? José-Manuel Barroso n’en est pas revenu que le Président russe auquel il demandait des comptes sur la présence estimée à un millier de soldats russes sur le sol ukrainien lui ait ri au nez : « Si je voulais, en deux semaines, je prendrai Kiev ». Le genre d’évidence qui ne signifie rien sinon que celui qui la profère a perdu le sens des limites. Elle rappelle la boutade de Staline : « Le pape ? Combien de divisions ? ». L’histoire a eu le dernier mot puisque les experts s’entendent à reconnaitre au pape Jean-Paul II un rôle décisif dans la chute du mur. Est-ce que Vladimir Poutine paiera son arrogance ? Les diplomates veulent croire qu’il y a une paille dans la poutre sur laquelle se dresse le nouveau tsar. Les sondages montrent que 40% seulement des habitants de Moscou et de Saint-Pétersbourg soutiennent l’aventure menée en Ukraine. Il existe bien une opposition libérale qui résiste à l’emballement nationaliste. Autrement dit, les citadins et les classes les plus éduquées, ceux qui voyagent ou surfent sur internet, manifestent un enthousiasme modéré pour le défi lancé au reste du monde. Et pour cause… Depuis l’été, le rouble s’est affaissé de 20%. Pas grave pour le Trésor public, puisque le gaz et le pétrole exportés sont payés en dollars. Mais cruel pour les Russes qui voient les prix flamber, notamment dans l’alimentaire. Le pays importe 40% de ce qu’il consomme. Ses difficultés ne font que commencer car l’Europe s’apprête à adopter un nouveau train de sanctions. Il n’y a pas un seul secteur industriel où la Russie n’ait besoin de la technologie des Européens. Ni la Chine, ni la Syrie, ni le Venezuela ne risquent de la lui fournir. La France a pris les devants à la veille du sommet de l’Otan et suspendu la livraison des Mistral, les navires de guerre achetés et prêts à être livrés. Ces rétorsions seront douloureuses pour les deux parties, c’est un jeu perdant/perdant. Les Européens redoutent l’effet boomerang, mais pour une fois ils sont restés unis. Ils auront beaucoup de mal à faire marche arrière car impossible d’entériner l’annexion de la Crimée. Les mécanismes bruxellois sont tels que les sanctions resteront en place même si une paix durable devait s’imposer dans l’est de l’Ukraine. La Russie paiera. L’Europe paiera. La Crimée paie déjà. Le tourisme, sa principale ressource est en panne. La presqu’île semble abandonnée à son sort. Elle n’est même plus survolée par les compagnies aériennes. Compenser cette mise en quarantaine coûtera chaque année aux contribuables russes le prix des JO de Sotchi, corruption incluse. Dimitri Medvedev était convaincu que la Russie ne s’en sortirait pas sans s’intégrer au marché mondial. La révolution de Poutine prend le chemin inverse. Le peuple russe ne l’a pas forcément compris mais il est à craindre que le Kremlin ait choisi, comme au temps du communisme, ce qu’un expert a appelé « la puissance pauvre ».❚