Les Arabes face à leur Frankenstein islamique
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L’affaire est entendue : Da’ech est une menace majeure. Ce mouvement djihadiste ne se contente pas de mettre en scène de décapitations moyenâgeuses et d’occuper une partie de la Syrie et de l’Irak où il a installé son « califat islamique ». Il a prouvé – et c’est une première pour un groupe terroriste – qu’il pouvait mener plusieurs types de guerre à la fois : guerilla urbaine, opérations conventionnelles de prise de territoire et opérations terroristes de grande envergure. On comprend qu’il s’agit bien d’un « péril global » quand on sait que l’État Islamique dispose de ressources financières quasi-illimitées grâce au racket et au pétrole, de stocks d’armements américains modernes récupérés dans l’armée irakienne, de quelques 10 000 hommes et qu’il recrute des combattants dans le monde entier. A péril global, « réponse globale », martèle Barack Obama, c’est à dire militaire, humanitaire (concernant les centaines de milliers de réfugiés) et politique (stopper les contributions financières à l’EI, coordonner le renseignement et arrêter les combattants étrangers venus d’Europe et des pays arabes). Mais cette action multiforme sera vaine si elle n’englobe pas la totalité de la communauté internationale.

Obama ne veut plus jouer l’éternel pompier

Et c’est là que les choses se compliquent car les Arabes se sont montrés jusqu’ici assez timides dans l’engagement contre Da’ech. Or, les Occidentaux en général, et les Américains en particulier, n’ont aucune envie de jouer les pompiers seuls. Obama, qui a compris la nécessité d’agir en dépit de son désir de se désengager de la région, entend que le fardeau soit cette fois effectivement partagé « avec le monde arabe, le Proche-Orient et le monde musulman ». En clair, il s’agit de créer une coalition internationale intégrant les États sunnites pour éviter que la lutte contre Da’ech apparaisse comme une « nouvelle croisade occidentale contre l’islam et les musulmans ». D’autant qu’une action terrestre sera nécessaire. La centaine de frappes aériennes américaines et les largages d’armements défensifs, qui ont eu lieu depuis un mois, ne suffisent pas en effet, même si elles ont affaibli les djihadistes et permis notamment aux Kurdes irakiens de relever la tête. Or la seule limite que se fixent les Américains comme les Européens est précisément le refus d’envoyer des troupes au sol, au delà d’unités de forces spéciales. Ces troupes au sol devront donc être en priorité composées des Kurdes, des rebelles syriens et de l’armée irakienne. Le sommet de l’Otan du 4 septembre a d’ailleurs signifié que l’heure d’une mobilisation générale avait bien sonné.

Le conflit sunnite-chiite en embuscade

Et pour cause : les États de la région, et l’abolition de leurs frontières sont la cible première de l’Etat Islamique. On l’a déjà vu en Syrie et en Irak. Le Liban et la Jordanie risquent d’être à leur tour menacés. Et les monarchies du Golfe sont en train de comprendre que leurs ambiguïtés, pour ne pas dire plus, face à Da’ech, ne les protègeront pas longtemps. En effet, le retour au bercail des combattants partis rejoindre les djihadistes ne les épargnera pas plus que les Européens ou les États arabes d’Afrique du Nord. Pourtant, si l’Egypte et les Émirats Arabes Unis sont récemment intervenus dans le chaos libyen, on n’a guère vu d’engagement des États de la région contre l’EI, hormis des échanges de renseignements. Tout se passe comme si ces derniers, habitués à compter sur le parapluie américain, étaient en outre plus préoccupés par le conflit chiite-sunnite. Particulièrement les États du Golfe, à commencer par l’Arabie Saoudite, qui n’entendent pas laisser le leadership régional à l’Iran et se sont engagés dans le combat contre le Syrien Bachar Al Assad, soutenu à bout de bras par Téhéran. Quitte pour les uns à encourager et à financer, ou au minimum à fermer les yeux sur l’émergence des djihadistes de Da’ech en Syrie. Jusqu’à ce qu’ils réalisent que l’EI risquait de se retourner contre eux comme le saoudien Oussama Ben Laden l’avait fait en son temps.

Bombe à retardement pour le Golfe

Cette prise de conscience récente – et la présence de plusieurs milliers de leurs ressortissants dans les rangs de Da’ech - les amènera-t-elle à se mobiliser réellement contre cette bombe à retardement ? C’est ce qu’espère Obama. Son secrétaire d’Etat John Kerry devait rencontrer ces mercredi et jeudi en Arabie saoudite les chefs de la diplomatie des six pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), de l'Irak, de la Jordanie et d'Egypte pour les convaincre d’entrer dans la coalition anti-Da’ech. Quelques signes montrent que les monarchies du Golfe se rangent à l’idée de la nécessité de lutter contre ce danger : le grand mufti d’Arabie Saoudite l’a qualifié d’ «ennemi numéro un de l’islam » et appelé les musulmans à « le combattre » peu avant que Ryad annonce l’arrestation de huit personnes soupçonnées de recruter pour l’EI. De son côté, le Qatar aurait mis fin à ses ambiguïtés dangereuses sous la pression des Saoudiens et de ses alliés occidentaux. Le petit émirat, dont les relations avec Ryad sont au plus bas, a même participé à une réunion de crise aux côtés des Saoudiens, des Emiratis et des Egyptiens. Au Koweit, c’est la législation bancaire qui a été durcie, tandis que l’un des collecteurs de fonds de Da’ech était arrêté. Début de réponse aussi à Bagdad où le nouveau premier ministre devrait former un gouvernement moins sectaire que son prédécesseur Nouri al Maliki qui avait largement favorisé la montée en puissance de l’EI.

Des mots plus qu’un engagement ?

Enfin, les pays arabes réunis au Caire seraient aussi tombés d'accord pour « affronter » ce groupe et « prendre toutes les mesures pour combattre le terrorisme au niveau politique, sécuritaire et idéologique ». Des mots plus qu’un engagement? Ce n’est pas exclu. Le texte adopté ne fait aucune référence au projet de coalition internationale, la crainte du radicalisme sunnite semble rester, en tout cas pour l’instant, moins forte que celle de l’Iran et de ses alliés chiites. A moins que les États du Golfe craignent aussi d'apparaître comme « soumis à l'influence et aux ordres de l'Occident » aux yeux d’opinions formatées depuis trop longtemps à la complaisance à l’égard des groupes islamistes s"inspirant du wahhabisme ❚