Francophonie, what for ?
Vincent HERVOUET

Tous les deux ans, le sommet de la Francophonie n’intéressait que les initiés. Une quarantaine de Chefs d’Etat s’y retrouvaient mais sans rien décider. Faire des discours, faire une photo de groupe, faire ami-ami, en coulisses. Un rituel diplomatique sans importance : tout le monde a fini par se résigner à la domination de la langue anglaise et semble croire que le Français préservera ses positions grâce à la démographie africaine. Comme si la nature imposait la langue en même temps que la couleur de la peau… Il y a le feu au lac mais on discute du bal des pompiers ! Cette année, les Présidents qui ont « le Français en partage » doivent élire un nouveau Secrétaire général. Pour la première fois dans l’histoire de l’Organisation internationale, le choix n’est pas décidé d’avance. La campagne dure depuis un an mais deux mois avant le rendez-vous de Dakar, il reste de vraies incertitudes. Sur la tenue même du sommet : il faut que le virus Ebola reste à la porte du Sénégal pour que les délégations s’y risquent. Sur le profil du successeur d’Abdou Diouf : secrétaire ou général ? Les présidents auraient voulu que ce soit l’un des leurs. Un homme qui ait leur expérience à la tête de l’Etat. Et un homme du continent. Sauf que ce candidat est introuvable. Ceux qui auraient bien vu Blaise Compaoré endosser ce rôle ont réalisé qu’il n’avait pas l’intention de quitter Ouagadougou. Le gabonais Jean Ping qui aurait pu prétendre au poste après avoir présidé la Commission de l’Union africaine préfère lui aussi cultiver des ambitions nationales. Ceux qui soutenaient le burundais Pierre Buyoya comprennent qu’un ancien putschiste, qui plus est récidiviste, n’est pas le mieux placé pour incarner les « valeurs de la francophonie » dont l’exemplarité est sans cesse proclamée. Restent donc deux candidats par défaut. Michaelle Jean reçoit à l’ambassade du Canada. Elle a été Gouverneur Général du pays, c'est-à-dire la représentante de la Reine Elisabeth dans l’ancienne colonie toujours membre du Commonwealth. Elle garde son titre de vice-roi mais on peut l’appeler Madame le Gouverneur. MIchaelle Jean est très simple bien que sa biographie soit compliquée. C'est aussi sa chance. Sa famille a fui Haïti dans les années 60 et la première des Canadiennes élevée au Québec se présente donc comme une représentante du sud, et même « une fille de l’Afrique ». On l’écoute parler avec autorité à l’ambassadeur, ancien ministre et ancien député, qui l’accueille dans les salons gris de sa résidence du faubourg Saint-Honoré et on réalise qu’elle a le soutien d’un des principaux bailleurs de fonds de la Francophonie. On admire sa silhouette et son sourire éclatant tout en pensant à la fable de La Fontaine qui met en scène une chauve-souris : « je suis oiseau, voyez mes ailes. Je suis souris, vivent les rats ! ». Sur le fond, son programme est aussi flou qu’un manifeste de l’Unesco. On comprend qu’elle est pour l’éducation et pour les femmes. Qu’elle dénonce le terrorisme et la fracture numérique. Qui est contre ? En face, Jean-Claude de l’Estrac fait figure de vétéran. Il arrive une heure en avance au rendez-vous et ne se formalise pas d’attendre au vestiaire. Il a été ministre des Affaires étrangères de l’ile Maurice. C’est un peu court comme titre de noblesse aux yeux des présidents africains qui ont eu tendance à le considérer comme en cousin lointain, en voisin mineur pour ne pas dire en GO d’une sorte de club Méditerranée. Au fil des mois, devant l’absence de nouvelles candidatures crédibles, il a fini par tirer son épingle du jeu. On souligne désormais qu’il a refusé deux fois d’être Président de la République de son pays, ce qui constitue une rareté admirable en Afrique. ON relève aussi sa grande expérience internationale acquise comme Secrétaire général de la Commission de l’Océan indien. Jean Claude de l’Estrac est un autodidacte dont la réussite illustrerait une autre fable de La Fontaine, « Le lièvre et la tortue ». Dans ce duel indécis, on peut opposer l’Amérique et l’Océan Indien, l’homme d’expérience et la femme ambitieuse, la puissance industrielle et le pays émergent. Au fond, c’est l’avenir du mouvement francophone qui est en jeu. Jacques Chirac ayant voulu faire de l’Organisation internationale une sorte de mini-Onu avait poussé à sa tête Boutros Boutros-Ghali que les Américains venaient de chasser de Manhattan. A l’heure de la mondialisation et de l’affaiblissement des Etats, cette ambition s’est avérée vaine. Plus grave, le projet a mis au second plan ce qui reste le ressort, l’ambition, la raison d’être de la francophonie. La défense et la promotion de la langue. A travers elle, une façon de penser le monde et de se battre pour sa diversité. Il est grand temps de s’en souvenir. Le meilleur argument de Michaelle Jean et de Jean-Claude de l’Estrac : ils sont d’anciens journalistes. Des professionnels de la langue. Aucun des deux pourtant, ne s’en fait valoir… Décidément, l’urgence est à la modestie ❚