Eduardo Castillo*, Sociologue et chercheur espagnol : «Il n’est pas surprenant de voir le jihadisme prospérer»
Eduardo Castillo

Ce décryptage approfondi remet en cause les idées reçues empêchant la compréhension du phénomène de la radicalisation islamiste des jeunes Espagnols. 

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Pourquoi un jeune qui a fait des études et qui a une carrière professionnelle réussie décide-t-il tout d’un coup de se convertir à l’islam radical et de devenir jihadiste en Syrie ?

 

Eduardo Castillo : Pendant longtemps, on croyait que les jeunes issus de milieux marginaux étaient les seuls qui pouvaient verser dans la radicalisation. Les experts ont réduit toute la problématique à une question économique. Or, en vérité, les personnes concernées cherchent à travers la radicalisation à donner un sens à leur vie. L’autre élément essentiel qui explique cette quête est que l’Europe s’affaiblit. Marquée par le relativisme, la société européenne est incapable aujourd’hui de fournir une réponse satisfaisante à un homme jeune qui remet en question le sens de sa vie. Entre alors en jeu le pouvoir de séduction qu’opère le radicalisme islamiste sur la jeunesse. C’est à partir de là qu’on peut expliquer le penchant au jihadisme qui semble donner une réponse complète en facilitant une certaine interprétation du monde.

Les jeunes d’aujourd’hui sont en quête de réponses satisfaisantes à leurs questionnements. En même temps, ils sont influençables puisqu’ils n’ont pas été éduqués de manière à développer leur propre sens critique. De surcroît, ils sont paresseux et ont une vision simpliste des choses. Il n’est pas alors surprenant qu’un système alternatif, qui prétend expliquer le monde, devienne si attrayant pour eux. Il leur propose un sens à donner à la vie, une certaine transcendance et une reconnaissance que rien de matériel ne peut offrir. Il n’est donc pas surprenant de voir le jihadisme prospérer.

Ces derniers temps, de nombreux jeunes catholiques issus de milieux nationalistes se sont convertis à l’islam tout en adoptant le jihadisme radical comme doctrine. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Nous devons tout d’abord comprendre que le nationalisme catalan repose sur trois principes de base. Le premier est que l’Espagne et la Catalogne sont deux nations différentes. Le deuxième est que le pays tire avantage de la Catalogne au point qu’on qualifie cette exploitation supposée de vol. Enfin, selon le dernier principe, cette situation ne peut être résolue qu’avec la séparation des deux nations, c’est-à-dire l’indépendance. Quand on analyse ces trois principes fondamentaux, rompre avec le catholicisme et se convertir à l’islam ne s’expliquent plus comme une simple question de foi, dans le sens religieux et traditionnel du terme, mais comme une autonomisation et en une quête de valorisation. Les jeunes concernés par la radicalisation veulent renier complètement l’Espagne qui est de tradition catholique. En raison de ce genre de conversion, qui n’est pas du tout basée sur une vraie foi, il est plus facile de sombrer dans le radicalisme violent. D’autant que pour l’islam radical, il n’y a pas de demi-mesure : l’infidèle est un ennemi juré et la seule solution valable est de le liquider. Autrement dit, pour un nationaliste converti, l’Espagne est l’infidèle et doit donc disparaître.

Cela voudrait dire que ces jeunes Espagnols considèrent le jihadisme comme un moyen de se venger de leur propre pays ?

Dans un environnement comme celui dans lequel évolue l’Espagne aujourd’hui, avec le rêve que caressent certains de voir la Catalogne indépendante, les dirigeants politiques proposent des alternatives insuffisantes pour la jeunesse. C’est pourquoi celle-ci appelle à une rupture définitive et immédiate avec l’existant. Ce que n’admettent pas ces politiques pour qui il est incompréhensible de voir les jeunes embrasser des idées extrémistes. D’où ce paradoxe qui fait de l’Espagne le point de convergence entre deux extrémismes. Celui des djihadistes qui veulent conquérir leur propre pays qui est non-musulman et les nationalistes séparatistes qui n’admettent pas que l’Espagne renie l’Etat catalan.

La conversion en grand nombre de jeunes Espagnols à l’islam est-elle limitée à la Catalogne ?

D’abord il ne faut pas croire que tous les nationalistes sont des jihadistes potentiels. Ensuite, la conversion des jeunes à l’islam n’est pas propre à la Catalogne. La même tendance a déjà été constatée ailleurs et elle ne date pas d’hier. La conversion de certaines communautés à l’islam est née, par exemple, d’une certaine affinité ayant lié des salafistes et des gauchistes radicaux. Encore une fois, il s’agit d’un processus idéologique qui fait tomber les défenses que peut lui opposer le sens critique.

--------------

Eduardo Castillo travaille notamment pour « Latin American Centre for Government and Political Marketing »