Les conversions à l’islam secouent l’Espagne
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En Espagne, l’islam a la cote auprès des Espagnols qui se convertissent en nombre ces derniers temps...

L’Espagne, pays où 80% de la population est catholique, est en proie à une profonde transformation. Plus de 50.000 Espagnols issus de familles traditionnellement chrétiennes se sont convertis à l’Islam. 20.000 d’entre eux sont passés à l’acte au cours des dernières années, selon le recensement de l’Union des communautés islamiques d’Espagne. Ce sont des chiffres qui ne passent pas inaperçus. D’autant que le nombre global des musulmans vivant en Espagne est estimé aujourd’hui à 1.700.000. Un nombre qui n’a rien à voir avec celui que totalise la France, par exemple. Pays où, selon le Centre islamique de Madrid, la communauté musulmane se chiffre à 6 millions de personnes et où, pourtant, le nombre de convertis à l’islam ne dépasse pas 70.000.

La question s’impose : Pourquoi l’islam a-t-il autant de succès auprès des Espagnols ?

Selon les chiffres officiels, près de 80% des convertis sont des femmes qui se sont initiées à la religion musulmane à travers leurs relations avec des hommes musulmans. Dans des zones comme Murcia, par exemple, on peut trouver des villages entiers à majorité musulmane. Dans ces environnements, les filles chrétiennes commencent par fréquenter des musulmans, les jugeant aussi dignes d’être épousés que les jeunes Espagnols, elles finissent par se convertir. Différents spécialistes ayant travaillé sur le sujet estiment que les femmes ont un référent clair de ce que devrait être l’homme de leur vie. Selon nombre d’analyses concordantes : les jeunes chrétiens n’ont pas la moindre notion de nos jours des valeurs et des idéaux dont leurs parents pouvaient être imprégnés. Tout le contraire des musulmans qui maintiennent les valeurs parentales et les présentent comme étant leur propre idéal. C’est ce qui renvoie des jeunes musulmans cette image d’hommes ayant des idées claires, qui travaillent dur, qui sont dotés d’une forte personnalité leur permettant de prendre des décisions et donc d’assurer une certaine sécurité à leur compagne. C’est ce qui semble faire la différence aux yeux de nombre de femmes espagnoles.

Mimoun Amrioui, président du Centre culturel islamique de Madrid, pousse encore plus loin l’explication concernant les conversions massives des Espagnols à l’islam : « Certains ressentent une inquiétude spirituelle profonde et trouvent leur réponse dans la religion musulmane ». Et d’ajouter : «Il s’agit là d’hommes et de femmes élevés dans un environnement catholique, qui fréquentaient des écoles religieuses et allaient à la messe tous les dimanches. Mais cela ne les comble plus. Ils se sont documentés sur Internet à propos de la religion musulmane et en concluent que l’islam était le chemin qui mène au bonheur». Amrioui affirme que ce sont là des conversions dont il se réjouit puisqu’elles ne sont pas le résultat de pressions externes, mais d’une profonde conviction personnelle et libre.

Sauf que les convertis ne sont pas tous les mêmes. Et le président du Centre culturel islamique de Madrid le sait : « Il existe une minorité, préoccupante, de jeunes gens issus de milieux marginaux qui trouvent dans la version la plus extrémiste de l’islam une solution à leurs problèmes ». Mimoun Amrioui est convaincu qu’un grand nombre des jeunes convertis qui versent dans le radicalisme proviennent de milieux défavorisés, n’ont pas d’emploi et n’ont aucune perspective d’avenir.

« Ils naviguent sur Internet et trouvent, en quelque sorte, une explication à leur mal-être, une alternative qui donne du sens à leur vie », conclut-il.

Sauf que la misère n’explique pas tout, comme le démontre le sociologue et chercheur espagnol, Eduardo Castillo (voir interview en P. 15-16). Pire, selon des sources de la police nationale espagnole, beaucoup des radicaux dont parle Amrioui attirent d’autres adeptes vers des organisations comme Daech.

Du nationalisme au jihadisme

Ces dernières années, la conversion à l’islam a pris beaucoup d’ampleur dans les rangs des nationalistes catalans. Selon le Centre islamique de Perpignan, si le nombre de conversions a atteint 7.000 à partir de 2010, sept sur dix des convertis ont eu ou ont des liens avec le nationalisme. Certains experts estiment que ces conversions sont une forme d’affrontement direct avec la culture occidentale que les radicaux associent à l’Espagne. «Pour eux, ce pays est la terre du catholicisme et des grands héros ayant forgé leur légende sur la base de la foi en Jésus Christ. Renoncer au catholicisme est aussi pour eux une forme de renoncement à l’Espagne. En fait, beaucoup d’entre eux sont devenus musulmans par dépit des us et coutumes espagnols», analyse la spécialiste des questions religieuses, Vicente Sala Franca.

Face à ce phénomène, diverses associations espagnoles ont été créées pour accompagner les nouveaux convertis. Dans ce cadre, le Centre culturel islamique et la mosquée Omar, la plus grande de Madrid, organisent des tables rondes pratiquement tous les samedis pour enseigner les vrais principes et valeurs de l’islam. Cependant, cette mosquée aurait été mêlée à des affaires d’embrigadement jihadiste et de salafisme extrême. Ce sont donc des centres culturels de différents quartiers qui tentent de faire face à la radicalisation.

 

La vie après la conversion

De toute évidence, en Espagne, comme ailleurs, changer de religion n’est pas toujours facile. De nombreux convertis que nous avons rencontrés lors de la réalisation de notre enquête affirment qu’ils ont été victimes de rejet et de marginalisation. C’est le cas de María Gómez. Cette jeune Espagnole de 26 ans s’est convertie à l’islam il ya 2 ans. Son histoire est similaire à celle de nombreux autres convertis espagnols : « J’ai grandi dans une famille très catholique. J’ai fréquenté l’école des soeurs et j’allais à la messe tous les dimanches. Je n’ai jamais pensé que j’allais un jour changer ma religion. J’ai été éduquée en bonne catholique et je croyais en Dieu. J’étais très heureuse.

A l’âge de 19 ans, j’ai commencé à sortir avec un jeune Marocain. Et un jour, il m’a offert un Coran. Je l’ai lu en une semaine et le contenu m’a tellement attiré que j’ai décidé de me convertir à l’islam. Ma décision a été un véritable drame pour ma famille. Ma relation avec mes parents a été rompue pendant un certain temps et ma grand-mère ne me parlait plus. Ils pensaient tous que j’avais subi un lavage du cerveau et que j’ai été forcée de porter le foulard. Ce qui n’était pas vrai. La preuve c’est que j’étais heureuse et ils le voyaient bien. Mes amis m’ont, eux aussi, rejetée. Certains, en raison de leur rejet systématique des musulmans. D’autres me regardaient avec pitié, car je ne pourrais plus sortir avec eux pour boire un verre. Et aussi parce qu’ils pensaient que j’allais être une femme maltraitée par mon mari. Heureusement que je pouvais nouer de nouvelles relations, même si cela n’a pas été facile au début.»

Gare à l’islamophobie !

En Espagne, les musulmans souffrent, eux aussi, des conséquences de la récente vague d’islamophobie qui envahit l’Europe. Souvent, ils sont assimilés à des terroristes et regardés avec méfiance. Selon Mimoun Amrioui, président du Centre culturel islamique de Madrid, les médias donnent souvent une image très négative de la communauté musulmane. « Personne ne peut nier qu’il existe une partie de la population qui associe le terrorisme avec le fait d’être musulman. Nous souffrons beaucoup de ce genre de préjugé », se plaint-il, avant de souligner que les musulmans ordinaires n’ont rien à voir avec les terroristes. « Nous le disons et le répétons encore et encore, mais il est exténuant de devoir se justifier pour dégager notre responsabilité après chaque attaque terroriste », regrette-t-il. Le président du Centre culturel islamique de Madrid estime aussi qu’il est très dangereux d’assimiler des citoyens innocents à des terroristes. Il en déduit que les fanatiques ont réussi à diviser la société libre. «On craint la montée des mouvements anti-islam en Espagne. Nous sommes inquiets pour nos enfants qui sont nés en Europe et aujourd’hui l’Europe les rejette. Cela risque de leur causer des dommages psychologiques », poursuit-il. Et Amrioui de conclure :«Heureusement, il y a des gens qui font la distinction entre le terrorisme et la religion, et qui acceptent le droit pour chacun de choisir librement sa religion et ses croyances».