Libre cours
Naim KAMAL

De retour d’un séjour en Tunisie, Naceureddine Elafrite, directeur de Médias24, m’a fait l’amitié d’attirer mon attention sur un compte rendu qu’il a écrit sur le livre témoignage de Béji Caïd Essabsi (BCE) publié en 2009, Habib Bourguiba, Le bon grain de l’ivraie, écrit à un moment où l’actuel Président tunisien croyait sa vie politique derrière lui. Naceureddine, tunisien mais marocain de cœur, a lu ou relu l’ouvrage de BCE et y a découvert ou redécouvert deux chapitres, l’un consacré aux relations algéro-tunisiennes, l’autre aux rapports maroco-tunisiens. Constamment à la recherche de ce qui peut confirmer l’entente et les affinités traditionnelles entre Rabat et Tunis, il a tenu à rapporter et à commenter des extraits de ce témoignage en rapport avec les relations complexes et compliqués entre Tunis et Alger, Alger et Rabat en soulignant une certaine communauté de vue sur les questions maghrébines entre le Maroc et la Tunisie (Document : Maghreb, Algérie, Sahara, racontés par Béji Caïd Essebsi) . Dans ces deux chapitres, il est question de l’humiliation ressentie par les dirigeants algériens à la suite de la guerre d’octobre 1963, la perception identique que les deux pays ont de la prétention algérienne au leadership maghrébin et arabe ainsi que leur défiance et leur méfiance à l’égard du «Maghreb des peuples» prôné par Alger.

Pour le Maroc et la Tunisie, écrit BCE, «la notion d’Etat est centrale : toute idéologie supra-étatique est irréaliste et même dangereuse». Le chef d’Etat tunisien évoque également les tentatives de médiations entre Rabat et Alger sur la question du Sahara et le «malentendu historique» du sommet constitutif de l’UMA à cause duquel elle a fini par capoter. Naceureddine n’a aucunement tort de rappeler que par-dessus l’Algérie, cet immense territoire qui éloigne les deux pays en même temps qu’il fragilise la Tunisie, Tunis et Rabat ont toujours été idéologiquement proches aux plans économique, politique et diplomatique, même si pendant longtemps la Tunisie a vécu sur le paradoxe du parti unique, ce qui ne faisait pas forcément du Maroc un Etat pluraliste mais multipartite sans grande incidence sur l’exercice du pouvoir. Une réelle amitié et une affection sincère unissaient Hassan II et Bourguiba, tandis que par la suite avec Benali, les deux chefs d’Etat se détestaient cordialement. Mais Rabat n’a jamais vraiment admis, même si au fond il en comprenait les raisons évidentes, l’absence de soutien franc dans l’affaire du Sahara. Sans lui en tenir rancune.

BCE le raconte dans son ouvrage, en janvier 1980, un commando tunisien formé en Libye, à la demande d’Alger, s’est infiltré à partir du territoire algérien pour attaquer la ville de Gafsa. Hassan II est le premier à réagir en envoyant d’urgence un soutien logistique conséquent à l’armée tunisienne. Néanmoins, cette solidarité active n’avait pas empêché Tunis de conclure avec Alger un traité de fraternité et de concorde en mars 1983 auquel s’adjoindra en décembre de la même année la Mauritanie de Mohamed Khouna Ould Haidallah, un président d’une hostilité sans précédent au Maroc. Il était même question un certain moment d’y intégrer la Libye, ce qui aurait signifié un total isolement de Rabat dans la région. Les réticences tunisiennes sans doute, et probablement l’opposition de la France, à l’époque en conflit larvé avec la Libye au Tchad, ont fait avorter la manœuvre.

Au grand étonnement de tous, même des Etats-Unis de Reagan, les grands adversaires que furent Hassan II et Kadhafi trouvèrent la parade en signant à Oujda, ville frontalière avec l’Algérie, le traité de l’Union Arabo-Africaine (UAA). Sur la sincérité de la médiation tunisienne en 1982 entre Rabat et Alger, Mhammed Boucetta, alors ministre des Affaires étrangères du Maroc, en même temps que secrétaire général de l’Istiqlal qui entretenait d’excellentes relations historiques avec le Destour tunisien, était sceptique. Une chose est cependant sûre, hier comme aujourd’hui, la Tunisie n’a aucun intérêt dans un tête-à-tête avec l’Algérie.