Plus de 300.000 affaires traitées à distance en une année
Une vue du colloque national sur «le procès à distance et les garanties d’une justice équitable»

Un premier bilan officiel de l’expérience inédite des procès à distance au Maroc vient d’être présenté. La pertinence des «tribunaux virtuels» a été unanimement saluée, malgré quelques remarques.

Lancée le 27 avril 2020, l’expérience des procès à distance, imposée par la covid-19, a permis aux juridictions nationales de tenir, en une année, plus de 19.000 séances durant lesquelles ont été examinées plus de 300.000 affaires. Des détenus ont pu ainsi comparaître, en ligne, plus de 433.000 fois devant les tribunaux. En tout, plus de 133.000 affaires ont été instruites. Certaines ont débouché sur la libération de près de 12.000 détenus qui ont retrouvé leur liberté immédiatement après le prononcé du jugement, à raison de 1.000 détenus chaque mois.

Ces chiffres ont été dévoilés par le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, Mohamed Abdennabaoui et le Procureur général du Roi près la Cour de cassation, président du Ministère public, El Hassan Daki, à l’occasion de la tenue, hier, mardi 27 avril, du colloque national sur «le procès à distance et les garanties d’une justice équitable». Organisé par le ministère de la Justice, en partenariat et en coopération avec le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) et le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), cet évènement a permis aux différentes parties concernées de présenter leurs appréciations concernant cette expérience.

Le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, Mohamed Abdennabaoui


Le ministre de la Justice a qualifié cette expérience pionnière de «prometteuse dans le système judiciaire marocain». Mohamed Ben Abdelkader a rappelé que le recours aux procès à distance, via visioconférence, était une décision conjointe du ministère dont il la charge, du CSPJ et la présidence du ministère public. Sa réussite, a-t-il poursuivi «est le fruit des efforts consentis par le ministère de la Justice, la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) aux côtés des magistrats, du parquet général, du personnel de la Justice et des membres des instances de défense».

Ben Abdelkader a aussi souligné qu’au vu de la sensibilité et la nature des informations communiquées lors des audiences et auditions, «le système audiovisuel interne sécurisé du ministère a été mis en service en priorisant la sécurité informatique et en respectant toutes les orientations émises par la direction de la sécurité des systèmes d’information à l’Administration de la Défense nationale».

De l’avis de Mohamed Abdennabaoui, d’autres facteurs étayent la pertinence des procès à distance, dont la protection des témoins et des dénonciateurs, la distance entre pénitenciers et juridictions, ce qui nécessite beaucoup de temps et autant de dépenses pour le transport, outre le nombre élevé des gardes mobilisés, surtout que 800 détenus comparaissent chaque jour devant les tribunaux de Rabat et 1.200 autres à Casablanca.

Le Procureur général du Roi près la Cour de cassation, président du ministère public, El Hassan Daki


Pour sa part, le Procureur général du Roi près la Cour de cassation, président du ministère public, El Hassan Daki, a fait observer que les procès à distance ont garanti la continuité du fonctionnement normal des tribunaux qui ont pu ainsi assurer leurs missions constitutionnelles, en consécration du droit au procès équitable dans des délais raisonnables.

Il a ensuite rappelé que l’adoption de cette technique s’est faite conformément à ce qui est en vigueur dans plusieurs législations étrangères avant le surgissement du coronavirus, d’autant plus que les procès à distance s’adossent à plusieurs références consignées dans nombre de traités internationaux afférant à la lutte contre le crime, dont la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale de 2000 (article 18) et la Convention des Nations unies contre la corruption (2003).

«L’activation des procès en justice en ces temps exceptionnels, qui a induit des défis juridiques et de droits de l’homme, est une chose à la fois inédite et impérieuse dans l’historique du système judiiaire au Maroc», a enchainé Daki, estimant que cette méthode a permis de gérer les services de justice avec «efficience et une bonne gouvernance» car ayant évité la propagation du coronavirus et contribué à la protection de la santé des administrés et des citoyens, en harmonie avec les autres mesures préventives prises par les autorités concernées afin d’enrayer la pandémie.

Quant au Délégué général de la Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion, Mohamed Salah Tamek, ce dernier a fait état «d’un pas en avant dans le cadre des efforts visant à donner à la Justice une face moderne en phase avec la révolution numérique et qui est capable d’améliorer ce secteur, conformément à la clairvoyante vision Royale qui a fait de la réforme de la justice un chantier constamment ouvert».

Remarques

«Une loi encadrant les procès à distance est une bonne chose à laquelle aspirent l’ensemble des intervenants dans le système de la justice», a lancé le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Mohamed Abdennabaoui a insisté sur la nécessité de la promulgation de ce texte dans les plus brefs délais «pour que le Maroc se dote d’un mécanisme juridique approprié permettant de tenir des procès à distance en post-covid».

Pour sa part, la présidente du CNDH, Amina Bouayach, a rappelé que le Conseil avait accueilli favorablement le lancement des procès à distance à la lumière des mesures édictées pour atténuer l’impact de la pandémie sur le cours normal de la justice et dans le cadre du respect des délais finaux pour le traitement des actions en justice.

D’après elle, cette technique ne constitue pas, en principe, une violation ou une menace aux conditions d’un procès équitable qui restent tributaires à la consécration des principes de la nécessité, de la proportionnalité et de la légalité ainsi qu’à l’équité, à la suprématie du droit, à l’équilibre entre les parties concernées et au respect des droits de la défense.

Bouayach a par la suite souligné que l’activation rapide du procès à distance, en raison du contexte pandémique, a soulevé des interrogations sur la légalité de cette méthode et sur la protection des droits de l’homme pour les justiciables en ce qui concerne l’organisation des audiences préliminaires dans l’acte d’accusation et des recours à distance via visioconférence.

Elle a à ce propos fait remarquer que le Conseil, selon les données de terrain dont il dispose suite à son suivi de nombre de procès à distance dans des affaires criminelles, délictuelles et de flagrance, a relevé que ces procès ne se sont pas déroulés sans problématiques inquiétantes en lien, entre autres, avec la situation des personnes en détention provisoire qui tenaient, au même titre que leur défense, à être présents.

Egalement, a-t-elle noté, les efforts déployés n’ont pas pris en considération certaines catégories et leur droit d’accès à la justice, parmi lesquels les personnes en situation d’handicap, notamment celles présentant des déficiences auditives et visuelles.

Ce colloque a connu la participation d’un parterre de responsables et de représentants des départements et institutions concernées et de plusieurs sensibilités de la société civile.

Les remarques ainsi émises pourraient permettre à ce processus inédit d’être amélioré et d’avoir rapidement la loi devant l’encadrer.