En attendant le parpaing dans la soupière
Vincent HERVOUET

En l’espace de dix jours, la France a vu disparaitre les trois ténors dont les rivalités dominaient sa vie politique depuis au moins quinze ans. Soudain, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Hollande tombent à la trappe, comme si une guillotine symbolique les retranchait de la communauté des vivants. En quelques jours, ces champions sont dévalués, débarqués, retraités. C’était leur dernier combat. Ils sont politiquement morts, avec tout loisir d’imaginer la campagne à laquelle ils se préparaient depuis des mois et qui n’aura jamais lieu. Ce dénouement est sans précédent, une révolution symbolique. L’avantage est de libérer la place. Une nouvelle génération s’avance, celle des Premiers Ministres. Face à François Fillon, qui a gagné avec panache et à la surprise générale, la primaire de la Droite et du Centre, Manuel Valls tente de s’imposer à son camp. La tâche parait ardue, tant ses méthodes ont contribué à diviser un parti socialiste en chapelles irréductibles. Six semaines de campagne ne seront pas de trop pour rassembler les camarades, avant « les primaires citoyennes », prévues les 21 et 28 janvier. Evidemment, le chef du gouvernement a dû abandonner sa charge. Le Président, qui est lui-même démissionnaire, s’est mis en quête d’un remplaçant pour habiter l’hôtel Matignon jusqu’au printemps.

Pour expédier les affaires courantes, François Hollande est allé chercher l’un des seuls ministres qui lui soit resté fidèle et qui ne soit pas démonétisé, celui de l’Intérieur. Bernard Cazeneuve est discret. Au lendemain des attentats qui ont frappé Paris, il a manifesté une forme de retenue et une fermeté d’âme qui l’ont même rendu populaire. Sa nomination à Matignon vient couronner la trajectoire express qui a porté en quatre ans cet autodidacte obscur d’un secrétariat technique jusqu’au sommet du gouvernement. Là encore, du jamais vu. Mardi soir, le tête-à-tête du nouveau Premier ministre avec son successeur a pris dix minutes. Les hauts-fonctionnaires dans la nuit, les caméras qui tournent, c’était photogé- nique, surtout le petit shako avec plumet dont est coiffé le détachement de Gardiens de la paix qui tentent de rivaliser avec les Gardes Républicains qui tiennent le Palais de l’Elysée, de l’autre côté de la rue. La variante protocolaire de l’éternelle rivalité entre police et gendarmerie. On regardait ces soldats d’opérette avec leur képi de style napoléonien et on écoutait le nouveau ministre, Bruno Leroux, faire des phrases toutes faites. Il promettait la sécurité, mais pas seulement. La sécurité n’est pas assez. Il veut s’occuper aussi de la gestion de la crise migratoire, de la rénovation territoriale, de la réforme administrative en cours, et patati et patata…

On comprend que ce partisan du Président piaffe, cela fait quatre ans et demi qu’il attend à la porte du gouvernement. S’il touche enfin la récompense de sa loyauté, c’est in extremis… On regarde ce théâtre et on se dit, ce n’est pas si grave… Après tout, l’Espagne vient de passer un an avec un cabinet qui expédiait les affaires courantes. La Belgique a tourné pendant deux ans sans gouvernement du tout! Il peut bien y avoir un débutant à l’Intérieur puisqu’à Matignon, il y a Bernard Cazeneuve qui connait les hommes et les dossiers. François Hollande, le président mort-vivant, lui a d’ailleurs assigné publiquement une seule mission, la protection. Sauf qu’il n’a pas précisé s’il devait protéger les Français contre les terroristes qui reviennent, contre la droite qui revient, contre Fillon qui arrive ou contre une fin de règne qui pourrait tourner au calvaire…

Les terroristes font la guerre, pas carrière. Ils sont en campagne militaire, pas en campagne électorale. Ce n’est pas avec des phrases toutes faites, des shakos à plumet, l’émotion des ambitions assouvies et l’enthousiasme des débutants qu’on va s’en protéger. Le cirque politicien cache la réalité. Le retour du réel ressemblera à un parpaing qui tombe dans la soupière d’un diner aux chandelles