Contrefaçon : Un business qui tue !

2013 pourrait être l’année du grand combat contre la contrefaçon

Par Mounia Kabiri Kettani

Dans l’un des quartiers chics de la métropole, un magasin de prêt-à-porter attire les friands de la mode. Des articles « signés », vendus à bas prix, tout le monde en raffole. Un Jean Diesel à 200 dirhams. N’est-ce pas une bonne affaire ? « Je vous mentirai si je vous dirai que c’est du vrai Diesel », reconnait la vendeuse, avant de se rattraper : « mais c’est de la bonne qualité ! ». Elle est partie chercher un polo blanc au col rose, flanqué d'une broderie Giorgio Armani. « C'est de la viscose », précise-t-elle. D’où provient cette marchandise ? Après un moment d’hésitation, elle lance : « Nous nous approvisionnons auprès de quelques fournisseurs dans la région du Nord. Les articles sont soit fabriqués ici ou importés. Nous avons beaucoup de clientes. Elles préfèrent acheter un tas d’articles avec un bon rapport/qualité prix plutôt qu’un seul au prix fort », assure-t-elle. Deux pour le prix d'un… Il n'y a qu'à comparer deux articles attribués à une même marque, mais qui accusent une différence de prix spectaculaire. C’est ainsi que la copie concurrence l’original. Ce n’est pas sans raison que feu Michel Danet, ancien secrétaire général de l'Organisation mondiale des douanes avait dit un jour : « Si le terrorisme n'existait pas, la contrefaçon serait l'acte criminel le plus important de ce début de XXIe siècle ». La contrefaçon, limitée jadis à un petit commerce isolé et mal organisé, s'est développée avec le temps et a atteint le niveau d'organisation professionnelle. Toute une industrie qui s'est mondialisée et qui opère presque en toute impunité. Batailler contre ce fléau social revient à faire pousser des centaines, voire des milliers de personnes au chômage.

Hanine Tazi, le directeur de pôles Industrialisation & compétitivité, intégration & maillage, commerce & marché local chez l’AMITH précise que ce genre de pratiques constitue un grave danger. Cela représente non seulement un manque à gagner considérable pour la profession comme pour l’État. «Considéré comme un palliatif au chômage et à la crise, le secteur informel, terreau de la contrefaçon, est en fait une arme de destruction massive contre l’économie saine nécessaire au développement de la nation », lance-t-il, avant d’ajouter que la contrefaçon peut en effet provenir de l’importation. La liste des pays incriminés est longue : Chine, Turquie, Bangladesh, Inde, Corée du Sud, en plus des pays de transit comme l’Espagne et l’Italie. Cependant, selon le textilien, des produits contrefaits sont aussi fabriqués localement. C’est le cas notamment de produits textile de maison, qui souffrent énormément du vol de propriété des brevets et modèles. Le même son de cloche se fait entendre de la part de Mohamed Amaiz. Le président de la FEDIC estime que les ateliers de la contrefaçon sont une véritable plaie. « C'est une lutte à mort que nous menons contre eux », affirme-t-il. Il précise que le plus gros producteur de produits contrefaits en cuir, surtout de chaussures, reste la Chine. Et d’ajouter : « La contrefaçon s'effectue là-bas de manière industrielle »

En 2012, près 1,2 millions d’articles contrefaits ont été saisis par la douane marocaine. Soit près de 3.300 articles saisis tous les jours. Valeur totale de ces articles contrefaits : 33.4 millions de dirhams.

Les professionnels souffrent…

La contrefaçon n’a pas de limite au Maroc. Elle touche pratiquement tous les rayons : produits textiles ou cuir, parfums, appareils électroniques et électriques, produits de détergents, pièces automobiles, médicaments et même insecticides... D’après les chiffres de la douane, les montres, les produits électriques et électroniques représentent à eux seuls le tiers des produits saisis. Viennent ensuite la contrefaçon de parfum. Puis les pièces détachées automobiles et lubrifiants. Le fléau inquiète Fouad Sekkat. D’après le patron d’Ingelec, il est difficile de cerner le phénomène de la contrefaçon.

« Chaque jour, on reçoit des appels de la part de nos partenaires pour attirer notre attention quant à la circulation sur la marché de produits contrefaits signés Ingelec de mauvaise qualité et à bas prix. Notre service de qualité reçoit à son tour pas mal de réclamations. Nous ne pouvons pas jouer le rôle de flic. Mais nous envoyons nos commerciaux sur place pour dénicher quelques échantillons, les analysons mais nous ne pouvons pas nous amuser à ramasser toute la marchandise contrefaite du marché. Ce n’est pas notre rôle », se plaint-il.

Une étude vient d’être menée dans le cadre du Comité national pour la propriété industrielle et anti-contrefaçon (CONPIAC) pour contrer les contrefacteurs. Les constats de ses auteurs sont effarants. « La contrefaçon sur le marché marocain est estimée entre 6 et 12 milliards de DH soit 0,7% à 1,3% du PIB », déclare Adil El Maliki. Le directeur général de l’OMPIC souligne que cette pratique frauduleuse génère une perte fiscale annuelle de près de 1 milliard de DH et près de 30.000 emplois sont détruits ou informels. Un coup dur pour les patrons marocains. D’ailleurs,

la présidente de la CGEM n’a pas manqué de souligner à l’occasion de la présentation de cette étude qu’au-delà des pertes, la contrefaçon représente également un danger pour les consommateurs. « Les contrefacteurs ne respectent aucune norme d’hygiène et de sécurité », précise Miriem Bensalah. Dans le seul secteur de textile et d’habillement, Hanine Tazi estime que l’impact de la contrefaçon se situerait dans une fourchette oscillant entre 4,8 et 6,8 milliards de DH.

Lutter différemment

Comment peut-on lutter contre cette contrefaçon ? De l’avis des professionnels sollicités par L’Observateur du Maroc, il faut renforcer les procédures de contrôle au niveau des frontières, voire limiter l’importation de quelques produits. « A ce jour, les importateurs de marchandises saisies en douane pour contrefaçon ne font pas l’objet de poursuites, ce qui est un non-sens juridique dans un contexte de guerre économique qui ne pardonne pas », glisse Hanine Tazi. Pour l’heure, chacun use de ses moyens pour défendre son image de marque, comme le fait Ingelec qui réduit ses prix et donc ses marges pour pouvoir être compétitive. HP a choisi de procéder autrement. Sensibilisation, éducation, prévention, investigation, audit, et éventuelles poursuites judiciaires… tout y passe. Une campagne de communication, une équipe dédiée pour sensibiliser, éduquer et prévenir… Ce constructeur leader mondial en matériel informatique est plus que jamais déterminé à mener une guerre sans merci contre la contrefaçon. La traque des contrefacteurs ne fait que commencer, nous dit-on. Les enquêtes menées par les équipes anti-contrefaçon de HP, avec mandat d’audit chez les partenaires et revendeurs de la marque, se multiplient et se font à l’improviste. Un autre groupe, Power Balance, qui vient de mettre les pieds au Maroc a même conseillé ses clients, lors de l’achat, d’envoyer un code de barre figurant sur le dos de la boite contenant le produit pour s’assurer de son authenticité. Les astuces ne manquent pas. Vu la gravité de la situation, la 5e réunion plénière du CONPIAC a été tenue le 13 février par le Ministère de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, en vue de dresser le bilan des activités anti-contrefaçon menées par le secteur public (la Douane, la Justice, la Gendarmerie, la Police, l’OMPIC…) et le secteur privé. Sur cette base, des actions prioritaires ont été définies et devraient être mise en œuvre cette année afin de lutter efficacement contre ce fléau. « Outre la création d’un observatoire national de la contrefaçon et d’une base de données ou guide pour faciliter l’échange d’informations entre les membres du CONPIAC, nous allons procéder à l’organisation de sessions de formation portant sur le respect des droits de propriété industrielle avec l’extension des formations à l’échelle régionale. En plus, il y aura un renforcement des campagnes de sensibilisation grand public », détaille Adil El Maliki. D’après Tazi, il s’agit d’une guerre économique, et les entreprises doivent être conscientes qu’il leur faut maintenir une cellule de veille permanente sur le terrain pour décourager les contrefacteurs.

Paru dans L’Observateur du Maroc n°205 norwegian translator