Saad Hariri - L’imbroglio libanais
Mireille Duteil

Pour les Libanais, c’est la douche écossaise. L’euphorie consécutive à la réapparition de leur Premier ministre, Saad Hariri, dans une interview donnée à Riyad, le 12 novembre, et annonçant son retour « prochain », a fait place à l’inquiétude. Mercredi 15 novembre, Hariri est toujours en Arabie Saoudite et le président Michel Aoun affirme qu’il y est « retenu » avec sa famille. L’imbroglio est total lorsque Saad Hariri lui réplique dans un tweet : « Je vais bien et je rentrerais bientôt dans mon cher Liban. »

Tentons d’y voir plus clair. En premier lieu, pourquoi les Saoudiens, plus exactement le prince héritier, Mohamed Ben Salman, « MBS », qui dirige de fait le royaume, voudrait-il obtenir la démission de Hariri ? On se souvient que son retour à la tête du gouvernement libanais, en novembre 2016, était lié à sa réconciliation avec le Hezbollah soupçonné d’avoir assassiné son père, Rafic Hariri, et l’entrée de ce parti dans un gouvernement d’union nationale. Depuis, le Liban connaît une incontestable stabilité. Le Hezbollah dont les députés siègent au parlement est devenu incontournable. Il le sera encore plus demain lorsqu’il voudra imposer un rapprochement entre le Liban et la Syrie de Bachar al-Assad qu’il a aidé militairement à reprendre le pouvoir.

Voilà qui ne fait guère l’affaire de « MBS » convaincu que l’Iran et son bras armé, le Hezbollah, veulent déstabiliser l’Arabie Saoudite. En obtenant la démission de Hariri, il fera éclater le gouvernement libanais et affaiblira le

« parti de Dieu » qui arme les milices chiites dans toute la région, estime-t-on à Riad. Le pari est risqué.

D’une part, dans ce Liban qui compte autant d’opinions politiques que de Libanais, la démission forcée de Hariri obtenue de l’étranger est vue comme une humiliation. Les Libanais de tous bords se retrouvent soudain derrière leur Premier ministre, même ceux qui le clouaient au pilori la semaine précédente. D’autre part, « MBS » pense avoir le soutien de Donald Trump et d’Israël dans son entreprise. Or manifestement, Netanyahou ne veut pas se lancer dans une nouvelle aventure contre le Hezbollah, la précédente ayant mal tournée en 2006. Quant à la Maison Blanche, si elle se pose en ennemie de l’Iran, il n’est pas sûre qu’elle veut voir ouvrir un nouveau front au Proche-Orient. Les Européens, et en particulier la France, traditionnelle « protectrice » du Liban, tente de ramener « MBS » à la raison.

On voit mal pourquoi le prince héritier saoudien par ce coup de force du 4 novembre contre Hariri après celui, le même jour contre 200 VIP Saoudiens arrêtés pour corruption, prend le risque de détruire une image excellente. Il tente de moderniser son royaume, de le faire sortir du tout pétrole, de donner l’égalité aux femmes, de lutter contre la version obscurantiste de l’islam saoudien... autant d’ambitions qui ont fait de lui un espoir au Moyen-Orient. Veut-il, après avoir écarté ses opposants réels ou supposés en Arabie Saoudite et détruit son voisin yéménite dont les Houthis sont accusés d’être armés par le Hezbollah et l’Iran, réglé ses comptes avec Téhéran sur le dos du Liban ?