L’Or bleu
Vincent HERVOUET

On ose à peine écrire qu’il s’agit d’un pavé dans la mare. La mare est à sec, ou presque. L’eau est croupie, infectée, imbuvable. Le rapport 2013 de l’Organisation mondiale de la Santé estime à 2, 4 milliards le nombre de nos contemporains privés d’eau potable. Autrement dit, un tiers de l’humanité n’a pas accès à l’eau ! Une discrimination fatale, une injustice choquante et un sacré défi en ces temps de mondialisation galopante. L’une des ambitions du Millénaire pour le développement consistait à réduire de moitié, d’ici 2015, le nombre de ces déshérités. Les experts des Nations Unies avaient claironné l’an dernier : « Objectif atteint ! ». Selon leurs comptes, 783 millions « seulement » de personnes étaient privés d’accès à l’eau potable. Le démenti de l’OMS publié le 13/05 est ce pavé qui éclabousse les chaussures cirées des comptables de l’ONU. La situation est plus grave qu’ils ne l’imaginaient. Trois fois pire. Ils ont lourdement sous-estimé la situation des « sans-eau ». Derrière la querelle de chiffres,  la question du financement de l’aide est relancée.

Les dossiers du développement sont toujours complexes. Celui de l’eau semble insaisissable : l’expérience de chacun est locale, les situations diverses, les peurs ancestrales. Tout cela rend difficile une vision globale. Sans compter les médias qui se sont emparés du sujet depuis longtemps et cultivent le catastrophisme. Ils font naitre des angoisses nouvelles, nourrissent les malentendus, freinent parfois la prise des décisions nécessaires. Expert reconnu de la question et conseiller de Ban Ki-moon, membre du Conseil consultatif sur l’eau et l’assainissement (Unsgab), Gérard Payen raconte que les Occidentaux et les Méditerranéens s’inquiètent auprès de lui du changement climatique, en redoutant d’être privés d’eau, sans réaliser que l’urgence immédiate, c’est cette moitié de l’humanité qui boit de l’eau douteuse… Son livre « De l’eau pour tous ! » (Edition Armand Colin) porte en sous-titres : « Abandonner les idées reçues, affronter les réalités ». Ce programme ressemble aux travaux d’Hercule.

Exemple de malentendu, les 783 millions chiffrés par l’Onu. Il s’agit de ceux qui n’ont pas accès au minimum : un puits fermé par un couvercle qui protège l’eau des déjections animales. Ce sont les plus démunis. L’urgence consiste à leur apporter cette protection vitale : une « source améliorée », comme un puits avec un couvercle. Cela ne suffit pourtant pas pour que cette eau soit potable. Que l’eau provienne d’une borne-fontaine, d’un puits artésien, d’un robinet collectif, d’une rivière, la situation est très variable. En réalité, la moitié de la population mondiale s’abreuve, cuisine, se lave avec de l’eau dangereuse ou douteuse !  Selon Gérard Payen, 1,8 milliards de nos contemporains consommeraient chaque jour de l’eau qui met leur santé en péril. Autre chiffre qui frappe : chaque jour depuis l’an 2000, en moyenne, 275 000 personnes supplémentaires ont été dotés de l’eau courante à domicile... Mais comme la population mondiale a augmenté de près d’un milliard depuis le début du millénaire, il y a aujourd’hui davantage d’habitants qui n’ont pas de robinet chez eux qu’au XX° siècle ! C’est une course éperdue… et perdue ! Sans parler du « stress hydrique » que subissent les paysans et qui accélère l’exode rural ou des coupures d’eau qui transforment dans des centaines de villes la vie des ménagères en cauchemar. Depuis l’an 2000, la situation évolue de façon très variable selon les pays. Elle s’améliore en Chine, en Inde, au Brésil… Elle se dégrade en Afrique subsaharienne. L’assainissement des eaux usées devient un défi insurmontable dans nombre de mégalopoles à la croissance anarchique.

Il n’empêche… Le ciel est généreux. L’eau est renouvelée en volume supérieur à celui que nous utilisons et elle est réutilisable. Autrement dit, les problèmes liés à l’eau sont dus à l’homme. D’où l’importance de la prise de conscience.

Ils sont complexes (« Non, il ne faut pas privilégier l’action en zone rurale en considérant que les villes sont mieux loties. Non, les opérateurs privés ne s’enrichissent pas en appauvrissant les populations défavorisées ») mais pas insolubles. 122 pays ont reconnu en 2010 « un droit à un approvisionnement suffisant, physiquement accessible, et à un coût abordable d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ». On aurait tort de prendre cette déclaration de principe pour un robinet d’eau tiède. C’est un premier pas. L’eau est l’un des défis d’aujourd’hui. Et si l’on ne le relève pas, les guerres du XXI° siècle seront les guerres de l’eau. керамическая кастрюля отзывы