Hafid Allaki: « J’ai gagné mon procès grâce à l’équité de notre justice administrative »  
Hafid Allaki alors qu'il était directeur régional à la Chambre de commerce, d'industrie et des services

Licencié abusivement en aout dernier, Hafid Allaki, ancien directeur régional de la chambre de Commerce, d'industrie et des services de la Région de Rabat-Salé-Kénitra, vient de gagner son procès en appel après l’avoir gagné en première instance. Dans cet entretien, il se livre à un diagnostic approfondi de la situation des chambres de commerce au Maroc.  Hafid Allaki est un ex officier supérieur de l’armée royale, détenteur de deux Masters en Management industriel et en Droit des Affaires. Spécialiste du traitement des entreprises en difficulté, il prépare actuellement un doctorat en Droit des Affaires.

Entretien



Hafid Allaki, ancien directeur régional de la chambre de commerce de la région Rabat-Salé-Kénitra

L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Rappelez-nous les détails de cette affaire ?

Hafid Allaki : Evoluant en France, j’ai présenté en 2020 ma candidature pour le poste de directeur régional de la chambre de commerce et d'industrie et des services de la Région de Rabat-Salé-Kénitra. J’ai été retenu aux deux phases de recrutement : La sélection sur dossier et l’entretien avec une commission chapeautée par le président de la chambre et composé de personnalités du monde des affaires. Après avoir regagné le territoire français, j’étais rappelé par la chambre de commerce pour l’intégrer entant que directeur régional. J’ai alors entamé mes fonctions le 28 février 2020.

Que s’est-il passé entre temps ?

Mon arrivée a coïncidé avec le déclenchement de la pandémie Covid-19 dans notre pays et paradoxalement je m’estimais chanceux. Je crois fermement que pour sortir du lot, il ne faut surtout pas se limiter à la gestion du quotidien. Vivre la crise et savoir la gérer, c’est la meilleure manière de se distinguer. A la chambre de commerce, j’ai bien géré la situation, j’étais présent pour les commerçants, j’étais le cordon ombilical entre les opérateurs économiques et les autorités. En veillant au respect des mesures sanitaires, je les aidais à sauvegarder leur activité et de continuer de gagner leur vie. Ceci même si ce n’était pas ma mission première entant que directeur régional. Mais j’étais obligé de le faire car tous les représentants des commerçants et leurs élus ont disparu et n’ont pas fait surface. Pendant le confinement, j’étais présent au poste de 9h du matin jusqu’à 19h alors que les autres s’abritaient chez eux loin de la maladie et des responsabilités lourdes d’une telle conjoncture.

Tout ça je l’ai fait par amour à ma patrie et par reconnaissance envers mon pays. Sauf que cet engagement à toute épreuve a commencé à gêner quelques élus. Ma droiture n’arrangeait nullement les choses car on voulait que je participe à des manœuvres et autres agissements peu scrupuleux. Imaginez que l’on me demandait de signer des frais de déplacements fictifs alors que personne ne bougeait à cette époque !!! Mon refus catégorique m’a valu l’animosité et l’opposition de quelques membres. Aussi après mon arrivée, j’ai organisé cette administration en faisant valoir les compétences des cadres en les rentabilisant mieux afin de mieux développer la chambre. Mon tandem réussi avec le président de la chambre Abdellah Abbad ( RNI) et qui le rendait plus puissant n’était pas vu du bon œil par les membres. Le résultat était un blocage politique organisé dans les coulisses contre le président. Ce dernier a fini par céder et signer mon limogeage abusif en aout 2020, lors d’un dîner privé, quelques mois à peine après mon recrutement.

Qu’avez-vous fait suite à ce licenciement abusif ?

Pour commencer et étant donné que l’information est un droit constitutionnel, j’ai fait une vidéo explicative pour informer le public de ce qui s’est passé réellement. A part une interview donnée à L’Observateur du Maroc et d’Afrique, j’ai évité de faire de déclarations car l’affaire a été entre les mains de la justice. Mon avocat Maitre Mohamed El Haini a présenté le dossier au tribunal administratif et le jugement en première instance a été en ma faveur. La chambre de commerce a alors interjeté appel contre la décision. Puis la même décision a été reconduite en appel par la cour d’appel administrative de Rabat en ce mois de juillet. J’ai eu gain de cause avec réparation en se basant sur le code de travail, un an après mon licenciement abusif.

En tant que chercheur en droit des affaires et de droit comparé, je fais souvent la comparaison entre la législation de notre pays et les autres tels la France, la Belgique, les USA ou encore le Canada. Je suis vraiment fière de notre justice. Ce procès m’a conforté dans cette confiance en l’impartialité de notre justice et spécialement celle administrative qui a une renommée internationale.

Comment avez-vous eu gain de cause ?

Le législateur a créé les chambres de commerce et les a placées sous la tutelle de différents ministères. L’Article 43 du statut des chambres de commerce stipule clairement que « le directeur régional de la chambre de commerce est nommé et limogé par le président après la décision de l’autorité gouvernementale compétente ». Le président m’a cependant limogé sans avoir l’aval du ministère qui a pourtant donné son accord pour mon recrutement. Dans mon cas, on ne s’est même pas concerté avec le ministre de l’Industrie My Abdelhafid Alami. C’était d’ailleurs mentionné dans le jugement que le ministre aurait du donné son avis favorable avant que le président ne prenne cette décision arbitraire.

Même si courte, quels enseignements avez-vous tiré de cette expérience à la direction de l’une des chambres professionnelles marocaines ?

Quand on parle des chambres professionnelles au Maroc, il faut aborder ce sujet du côté théorique et celui pratique. Côté théorique la législation marocaine est de référence au niveau internationale. De toute manière c’est une législation qui est calquée et fondée sur les expériences internationales et spécialement celle française, l’une des pionnières en la matière. Malheureusement, les gens et la manière avec laquelle on gère ces chambres sont loin d’être à la hauteur de cette législation de référence. C’est là le grand hic. Personnellement, je pense qu’il faut absolument imposer un profil du président mais aussi des membres. C’est une véritable aberration de se retrouver avec un président de chambre de commerce et d’industrie qui est analphabète, ne sait pas gérer sa chambre et qui est incapable de traiter avec des compères d’autres pays et effectuer des jumelages avec d’autres chambres. Avoir au minimum un baccalauréat est une obligation pour être à la tête d’une chambre de commerce et ceci avec l’aide d’un directeur qualifié et indépendant pour assurer la gestion administrative et financière.

Je suis pour la démocratie, pour les élections et pour les résultats des urnes mais il faut avoir l’homme qu’il faut là où il le faut. Malheureusement dans nos chambres professionnelles, on se retrouve avec des membres qui ne sont pas aptes à être des représentants des opérateurs économiques et de participer au développement économique et social de notre pays. Un autre point crucial, il faut que la chambre de commerce et d’industrie intègre uniquement des hommes d’affaires qui réalisent des chiffres d’affaires supérieurs à 3 millions de dirhams par an par exemple. En dessous, tout petit commerçant devrait rejoindre la chambre de l’artisanat ou une nouvelle structure adéquate. Car un épicier et un grand industriel n’ont pas les mêmes objectifs, les mêmes problèmes, les mêmes moyens, les mêmes perspectives ni le même langage. C’est ainsi que l’on peut prétendre à une représentativité productive.