Des applications pour prédire votre mort
Ce qui peut paraître amusant au début peut rapidement devenir dangereux

Effrayant, déstabilisant limite glauque… Connaitre la date de sa mort est devenu possible ou du moins c’est ce que prétendent les concepteurs de ces applications de prédiction. Etes-vous tentés ?



« Depuis 20 jours maintenant, ma nièce de 16 ans, vivant avec sa famille en Italie, est convaincue qu’il ne lui reste plus que 42 jours, 5 heures, 23 minutes et 40 secondes à vivre ! C’est ce que lui a annoncé l’application compte à rebours après avoir pris sa photo une fois installée sur son smartphone. Sa mère vit depuis ce jour un véritable enfer car ma nièce est dépressive et très fragile psychiquement depuis trois ans. Elle a déjà fait des tentatives de suicide alors qu’elle a été internée en soins psychiatriques. Avec cette deadline fixée par l’appli, ma sœur a peur qu’elle ne passe à l’acte et réalise cette maudite prémonition » nous raconte Kenza. M, très inquiète.

Countdown

Comme cette adolescente, ils sont des milliers voire des millions d’utilisateurs à céder à la tentation. Connaître précisément le jour de sa mort a toujours été une question aussi philosophique qu’existentielle pour les êtres humains. Les concepteurs de Compte à rebours s’adressent en effet à votre curiosité et vous invitent à « déverrouiller votre destin » en l’installant. Basée sur le film d’horreur américain Countdown, cette application se veut divertissante... Sauf que tout le monde n’a pas la capacité de gérer un tel « amusement ». « Ma sœur a vite paniqué en découvrant qu’en effet un compte à rebours réel est lancé sur le téléphone de sa fille. Jours, heures, minutes et secondes sont en train de s’écouler et d’être calculés de manière continue. Ceci tout en maintenant l’attention de l’utilisateur via des effets sonores et visuels. C’est vraiment flippant » ajoute Kenza.

Vous annoncer le jour de votre mort tout en vous mettant une sorte de pression en vous le rappelant d’une manière permanente « Cela peut devenir très dangereux pour les jeunes ou les personnes psychiquement fragiles. Ces utilisateurs risquent vraiment d’y croire et il se peut que l’idée de désinstaller l’application ne leur vienne même pas à l’esprit », nous explique Nadia Mouâtassim, psychologue. Selon cette dernière, la fascination « naturelle » des êtres humains pour la mort peut virer à l’obsession chez certains. « La mort a toujours fasciné par son aspect imprévisible, inattendu et mystérieux. Ce type d’applications jouent en effet sur ce besoin de percer le mystère et d’avoir un semblant de contrôle sur son destin par la force du savoir », analyse-t-elle.

Dangereux divertissement

Sauf que cette impression de savoir et de contrôle reste assez fausse. Si la plupart des utilisateurs le savent et jouent le jeu volontairement et avec amusement, d’autres n’ont pas assez de « recul » pour le voir du même œil comme le montrent les commentaires ironiques des utilisateurs de l’application. « Je vous écris de l’au-delà. Cela a vraiment fonctionné et je suis morte à la seconde exacte ou le compte à rebours s’est arrêté... » ironise Claudia.K. Un autre utilisateur se montre largement amusé en décrivant comment il a utilisé l’application pour prédire la date de mort de son grand- père. « Il est mort à la date indiquée et j’ai pu contacter mes avocats au bon moment pour dépouiller le reste de ma famille. Je recommande ! » badine-t-il avec détachement.

« Ce genre d’application peut avoir un côté amusant mais ça peut rapidement devenir dangereux. Le cas de cette fille peut être très inquiétant. Elle est dépressive, fragile voire suicidaire. La prémonition de sa mort la conforte dans son désir d’en finir avec la vie. Cela peut légitimer pour elle le passage à l’acte le jour de la fin de son compte à rebours » met en garde la psychologue. Cette dernière évoque également la thanatophobie et comment cette application peut provoquer la panique chez les personnes qui en souffrent. « C’est un sentiment exagéré d'inquiétude et de peur irraisonnée de la mort, sa propre mort et celle de ses proches » nous explique-t-elle. Si généralement ces personnes arrivent à s'en accommoder et à contrôler leur anxiété face à la faucheuse, d’autres voient leur vie perturbée. Un trouble qui requiert parfois une psychothérapie.

« Si une personne soufrant d’un tel trouble s’aventure à découvrir le jour de sa mort et que l’on lui annonce, son angoisse « originelle » sera décuplée. Elle cédera forcément à la panique. Ses réactions et son comportement seront profondément affectés par une telle nouvelle. Cela peut même se traduire par des troubles psychosomatiques graves mettant en danger sa sécurité » explique la clinicienne. Troubles cardiaques ( hypertension artérielle, tachycardie), troubles gastro-intestinaux, ulcères, inflammations chroniques, troubles du sommeil, troubles respiratoires, troubles sexuels ( troubles de l'érection, vaginisme)... les manifestations physiologiques peuvent varier et se multiplier face au traumatisme que peut représenter l’annonce de sa date de mort à un être déjà angoissé.

Utilité scientifique

Loin de l’aspect divertissant des applications commerciales, des scientifiques tentent de déjouer le caractère imprévisible de la mort en développant des algorithmes capables de prévoir la date exacte du décès des personnes âgées et malades. Des chercheurs de l’université Stanford, aux États-Unis, ont en effet élaboré un algorithme d’intelligence artificielle (IA) qui permet de prédire, avec 90 % de réussite, le moment où les personnes ayant un dossier médical précis vont mourir. Ces recherches ont été élaborées à la demande des services de soins en fin de vie de l’hôpital de Stanford. L’objectif étant de savoir exactement quand transférer les personnes âgées et très malades en soins palliatifs plutôt que de leur faire subir un acharnement thérapeutique. Une méthode qui permet de se concentrer sur la réduction de la douleur et d’apporter aux patients un soin moral et psychologique pour les préparer à la mort.