« La conquête d’Al Andalous ». Le feuilleton judiciaire commence.
Critiqué avec virulence, le feuilleton est finalement poursuivi en justice

« La conquête d’Al Andalous » continue de faire polémique. Après le grand débat autour des origines du fameux chef militaire Tariq Ibn Ziad, la production télévisuelle est trainée devant la justice par un avocat marocain…



Que de rebondissements ! Neuf jours seulement après le début de sa diffusion sur la première chaîne, la production télévisuelle fait déjà l’objet de protestations et de remises en question quant à sa pertinence « historique ». Réalisée par le Koweïtien Mohamed Al Anzi, la nouvelle série est diffusée depuis le début du mois de ramadan aux Émirats, au Koweït, en Arabie saoudite et au Qatar.

Fausse manipulation

Relatant l’épopée historique de la conquête de l’Andalousie, le feuilleton met en avant l’Histoire du fameux général Tariq Ibn Ziad, gouverneur omeyyade de Tanger. Dès le début de sa diffusion, certains personnages et péripéties ont provoqué la critique, voire la colère du public. Relançant sur les réseaux sociaux les joutes verbales maroco-algériennes relatives aux origines d'Ibn Ziad, le feuilleton est aujourd’hui accusé de « commettre de graves erreurs touchant aux fondements de l’Histoire prestigieuse de notre pays » s’insurge Mohamed Almou, avocat au barreau de Rabat. Ce dernier est d’ailleurs passé à la vitesse supérieure en réclamant la suspension de la série auprès du Président du tribunal de première instance de Rabat.

Dans son argumentaire, l’avocat évoque « des péripéties et des personnages induisant le public en erreur. « Un contenu erroné qui touche à l’intégrité de notre Histoire. Bon nombre des événements décrits par le feuilleton vont à l’encontre de ce qu’avancent toutes les références historiques et scientifiques à propos de cette épopée » explique-t-il dans un rejet catégorique du contenu de la production ramadanesque. « Elle est diffusée de surcroît juste avant le ftour qui est un moment de grande audience » regrette l’avocat en évoquant l’impact d’un contenu « difforme » sur les téléspectateurs.

Même réaction de la part du député socialiste Mehdi Fatmi qui a adressé une question écrite au Ministre de la culture et de la communication Mehdi Bensaid. « Ce feuilleton acquis par la première chaîne grâce à l’argent des contribuables ne donne aucune importance au patrimoine marocain, omet d’évoquer la vérité historique de ce héros marocain et d’approfondir les traits de son personnage. Il se contente d’en présenter une pâle image, aux antipodes de la majesté historique de ce grand chef militaire » argumente le parlementaire.

Pertinence historique

Ce dernier note en effet que le feuilleton a été tourné ailleurs, sans la participation de Marocains dans son écriture et sans concertation avec les historiens qualifiés pour s'assurer de la pertinence des faits relatés. « Résultat : Un feuilleton bourré d’erreurs et bien loin de ce que rapportent les historiens sur le personnage, l’époque et les événements » insiste-t-il dans sa question écrite.

Rappelons que dès les premiers épisodes, une grande polémique a éclaté sur les réseaux sociaux entre Algériens en colère et Marocains incrédules face à tant « d’insolence ». Les premiers réclament « l’algériennité » de Tariq Ibn Ziad et accusent le feuilleton de mauvaise foi, tandis que les Marocains avancent de leur côté des arguments historiques pour récupérer leur héros. « C’est un vieux débat qui ressurgit de temps à autre. Ceci dit Tariq Ibn Ziad est Marocain. Son nom amazigh est Yessja Ajoumane Yarssen Ben Yetofte Ben Nefzaw. Il est né entre 670 et 679 dans la tribu de Nefza du Rif, dans le Royaume du Maroc » explique Driss Marssaoui, chercheur historien.

« Ibn Ziad était le gouverneur de Tanger. Pour accéder à ce poste clé, il fallait être originaire de la région, bien connaitre son Histoire et sa géographie, maîtriser le dialecte de la population, ses mœurs et ses habitudes », argumente l’historien. Ce dernier cite un ancien historien Ibn Âadara Al Mourrakouchi qui analyse les origines du général amazigh en remontant jusqu’à la tribu de Ait Yetofte, citée dans sa lignée et qui est localisée dans le Rif Marocain. « L’historien espagnol Rafael Del Morena présente également Ibn Ziad comme un guerrier amazigh, né le 15 novembre 679, et qui était depuis sa tendre enfance en contact permanent avec la nature de son Rif Natal. Même version de la part de l’historien Josef Deabajo qui décrit un guerrier musulman s'étant illustré dans les arts martiaux » nous apprend Driss Marssaoui. « Les prouesses de ce rifain amazigh lui ont permis d’accéder au poste de gouverneur de Tanger » écrit alors l’historien espagnol, tranchant sur les origines de Tariq Ibn Ziad.

Quant aux critiques sur la manière « erronée » de présenter le personnage du prince Yelyane Leghmari, l’historien nous affirme que le feuilleton est passé à côté de la réalité. « Yelyane était un prince chrétien dont la capitale était Seuta. Sa principauté s’étendait de Ktama jusqu’aux montagnes de Ghmara. D’après Ibn Khaldoun, Yelyan aurait encouragé les musulmans à partir à la conquête d’Al Andalous en représailles au viol de sa fille par le roi des Ghots en Espagne » cite le spécialiste de la question. Selon lui, les scénaristes ont été injustes avec le personnage et ne lui ont pas donné sa juste valeur.

« Le prince Yelyane Leghmari a joué un rôle crucial dans cette conquête en offrant aux musulmans des navires pour traverser la Méditerranée, en renforçant leur armée par ses soldats mais aussi en préparant politiquement le terrain pour leur arrivée sur la péninsule ibérique» explique Marssaoui. Il faut cependant noter que les critiques ne se sont pas limitées aux faits historiques. Le mode vestimentaire, les décors, les architectures décalées, les anachronismes... sont autant de reproches faits aux auteurs du feuilleton. « Ce type de productions demande beaucoup de pertinence scientifique et une révision historique minutieuse par les érudits pour éviter des erreurs aussi fatales » conclut le chercheur.