Salon du livre. L’interdiction de « Chroniques homosexuelles» provoque un tollé 
Au delà de l'interdiction au Salon du livre, l'écrivaine est victime d'une campagne de diffamation

Le débat à propos des libertés individuelles est encore une fois relancé, cette fois-ci à cause de l’annulation de la signature du livre « Chroniques homosexuelles » de Fatima Zahra Amezkar au Salon du livre à Rabat.



Quelques heures après l’annulation définitive de la signature du livre de Fatim Zahra Amezkar, les réactions d’indignation et de condamnation se sont multipliées sur les réseaux sociaux et ailleurs. Prévue pour ce dimanche après midi, cette rencontre avec l’écrivaine, connue pour son homosexualité, a été annulée à la dernière minute par les organisateurs du Salon du livre, tenu exceptionnellement cette année à Rabat.

Commentant cette décision, Dar Agora, la maison d’édition du livre autobiographique, a estimé que les organisateurs n’avaient pas le choix devant toute la pression exercée par des « obscurantistes qui ont attaqué le livre sans même le lire et rien qu’en jugeant son titre. Nous sommes compréhensifs par rapport aux contraintes des responsables du salon qui ont toujours respecté la liberté de création et d’expression », modère la maison d’édition dans un communiqué explicatif suite à la décision de retirer le livre de la plus importante manifestation de l’édition au Maroc.

De son côté la jeune écrivaine, a exprimé sa surprise par rapport à la décision « qui a été prise en se basant sur facebook et les réactions impulsives sur les réseaux sociaux », comme l'explique-t-elle. « Depuis quand c’était une norme objective qui définit si un livre ou un auteur a droit d’exister et de s’exprimer ? », s’interroge Amezkar. L’écrivaine qui est également une enseignante contractuelle, pointe du doigt des calculs politiques derrière cette campagne diffamatoire. « Avant même que la décision d’annulation de la signature ne tombe, mon livre a été utilisé pour régler des comptes politiques. Le plus surprenant ce sont les menaces de poursuivre le ministère de la culture en justice à cause de « Chroniques homosexuelles » », s’indigne l’écrivaine. Refusant d’être utilisée, Amezkar revendique la liberté d’expression, de créativité mais également de choisir son orientation sexuelle sans jugement ni diffamation. Du côté des organisateurs, on évoque « une programmation » non validée. Le livre, objet de cette polémique, serait introduit au salon par la maison d’édition d’une manière non réglementaire et sans avoir « une autorisation», d’où l’annulation de sa signature.

Solidarité

Notons que cette annulation a provoqué un large mouvement de solidarité avec l’écrivaine interdite. Soutenue par les activistes des droits humains, Amezkar et son roman sont au centre de nombreuses revendications pour leur rendre justice. « Toute notre solidarité avec Fatim Zahra Amezkar #liberté_d’expression », annonce le collectif Hors la loi œuvrant pour les libertés individuelles depuis quelques années. De nombreux activistes des droits humains estiment d'ailleurs qu'il est temps d'arrêter de se voiler la face et de pratiquer la censure sur la créativité. " L’homosexualité existe bel et bien dans la société marocaine. Avec les réseaux sociaux et la liberté offerte sur ces espaces, elle commence à s’exprimer en public et à échapper au poids du tabou. Il faut donc arrêter de parrainer les esprits et sous-estimer l'intelligence des lecteurs et des Marocains en général ", analyse l'activiste Rabie Fateh. « Nous condamnons vivement cette annulation. Au mouvement Khmissa, nous estimons que cette interdiction est une manière de brider la liberté d’expression et de création garantie par l’article 18 de la Déclaration universelles des droits de l’Homme », fustige pour sa part le mouvement féministe.

Au-delà de l’interdiction du livre, Khmissa condamne la campagne de diffamation et la violence verbale et psychique ciblant la jeune écrivaine depuis quelques jours. « Nous incitons le ministère de la culture à se rétracter, à reconsidérer sa décision d’annulation et de restituer les exemplaires saisis au salon du livre et surtout à protéger la liberté d’expression et de création dans notre pays », revendique-t-on à Khmissa. Le mouvement féministe relance ainsi le grand débat à propos des libertés individuelles au Maroc et spécialement le libre choix de l’orientation sexuelle.

D’après la pétition lancée fin 2018 par le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), « La situation des homosexuels au Maroc, femmes et hommes, est extrêmement inquiétante et préoccupante. Insultes, agressions et menaces sont malheureusement monnaie courante». Une situation qui est d’autant plus grave car cautionnée par la loi. L'article 489 du code pénal marocain criminalise en effet «les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe». Ainsi l'homosexualité, qui est considérée comme un délit, est punissable de 6 mois à 3 ans d'emprisonnement et par des amendes allant de 120 à 1200 Dhs.

Payer de sa liberté sinon de sa réputation pour vivre pleinement son orientation sexuelle, c’est en effet ce que risquent les homosexuels marocains. Mépris, haine et violence... au-delà de l’intolérance par rapport à la différence qu’incarne un homosexuel, son rejet prend parfois des allures de ségrégation assumée et cautionnée par la loi. Car d’après le sociologue Farhat Othman, la source du mal n’est autre que cet article 489 du Code Pénal incriminant l’homosexualité. Une sorte de bénédiction légale. « Si l’on aspire à un changement de situation, il ne peut passer que par l’abolition d’une telle loi », soutient le sociologue tunisien réputé pour ses recherches axées sur l’homosexualité dans le monde arabo-musulman et au Maghreb.