Draa Tafilalet : Les dattes font évoluer l’économie et les mentalités

Le palmier dattier constitue le pivot de l'agriculture dans la région du Draa Tafilalet sur les plans économique et social. Un projet de développement très prometteur y a été lancé en 2010. La région en récolte aujourd’hui les fruits. L’ambition est d’aller au-delà, avec l’export comme nouvel horizon.

 Par Mounia Kabiri Kettani

 «Aujourd’hui, le contrat-programme 2010-2020 pour le développement de la phœnicicultureconstitue une bouée de sauvetage pour la région Draa Tafilalet», lance d’emblée un investisseur dans le domaine à Boudnib Errachidia, Belbachir Ali.

Si le Maroc occupait une place prépondérante en matière de production de dattes pendant de longues décennies, la maladie du Bayoud, principalement, a provoqué une chute importante de cette production qui est passée de 150.000 ha à 48.000 ha. Pour redonner à cette filière ses lettres de noblesse, un contrat-programme a été signé en 2010 entre le gouvernement et la profession. L’objectif est la réhabilitation de l’existant sur une superficie de 48.000 ha et l’extension via la mise en place de nouvelles plantations sur une superficie de 17000 ha. L’ambition est d’atteindre une production en dattes de 160.000 tonnes en 2020 contre 90.000 en 2009 et le renforcement des disponibilités nationales de vitroplants  en portant la capacité annuelle  moyenne de production à 300.000 entre 2010 et 2020 contre 60.000 plants/an durant le quinquennat 2005-2009.

Ce n’est pas tout, la nouvelle stratégie vise la valorisation d’un tonnage global de 110.000 T, soit près de 70% de la production attendue à l’horizon 2020, dont 70.000 T en dattes fraiches conditionnées, 20.000 T en produits transformés et 20.000 T en aliments de bétail et le développement des exportations des dattes de qualités supérieures pour atteindre 5.000 T en 2020 contre des quantités négligeables réalisées jusqu’en 2009.

 Bilan

«La nouvelle stratégie a permis de développer la superficie du palmier et de booster la production de dattes. Nous sommes en ligne avec les objectifs fixés pour 2020 », déclare un représentant de l’Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’arganier (ANDZOA). En chiffres, d’après le département de l’Agriculture, la palmeraie marocaine couvre aujourd’hui une superficie d'environ 51.000 ha avec 6.600.000 palmiers,  ce qui place le Royaume à la septième place au niveau mondial en ce qui concerne les effectifs des arbres et le onzième pour ce qui est de la production. L’effectif des palmiers dattiers productif atteint 5.478.000 pieds.

La répartition régionale du patrimoine phoenicicole révèle sa concentration au niveau de la région de Draa-Tafilalet avec 90% du patrimoine. La région du Souss-Massa avec environ 8% (principalement dans la province de Tata) et le reste se trouve au niveau des deux régions Guelmim-Oued Noun et l’Oriental (province de Figuig).

«Pour Draâ Tafilalet, le Palmier Dattier est une réelle opportunité en matière d’investissements et de création d’emploi», commente Belbachir Ali. Il était agriculteur de tomates sous-serres à Agadir et s’est converti en producteur de dattes en 2011 à Boudnib. Il est l’un des premiers investisseurs qui ont cru en le potentiel de la filière dans cette région. Son projet porte actuellement sur une superficie de 170 ha. «Nous avons investi quelques 300.000 DH au début. L’Etat nous a beaucoup aidé via les différentes subventions accordées pour les investisseurs dans le domaine », confie-t-il.

En effet, sur les superficies de moins de 5 ha, l’Etat subventionne l’équipement des exploitations phoenicicoles en systèmes de goutte-à-goutte à hauteur de 100%.  Il accorde aussi 35.000 par hectare pour les plants. Le même montant est octroyé pour les superficies de plus de 5ha. Le taux de la subvention en matière d’irrigation est ramené à 80%. «Ce sont des avantages très généreux de la part de l’Etat », juge Belbachir.

Il y a lieu de signaler qu’un palmier peut produire entre 10 et 100 kilos de dattes, selon le mode de production de la culture (intensif ou traditionnel). Cette activité est jugée plutôt rentable, selon les agriculteurs, mais elle demande de la patience puisque l’investisseur ne commence à engranger des bénéfices qu’après la 5eannée.

Pour Elarbaoui Naid, agriculteur issu de la commune de Mdaghra et qui est considéré comme un acteur clé dans la mobilisation des terres collectives pour les projets de palmier dattier dans la zone d’Errachidia, la phoéniciculture assure le revenu des populations des oasiens de la région. Elle est considérée comme un moyen pour améliorer les niveaux et conditions de vie des agriculteurs. D’après les chiffres du ministère de tutelle, la filière contribue à la formation des revenus agricoles à hauteur de 60% pour 1 million d'habitants.

Elarbaoui Naid nous confie que si par le passé les gens étaient contraints à l’exode pour chercher de l’emploi à Marrakech ou encore à Agadir, aujourd’hui, la tendance s’est inversée. «Nous avons du mal à trouver de la main d’œuvre dans la région», assure-t-il. Et d’ajouter : «les filles et les femmes mettent la main dans la pâte aujourd’hui, alors que selon nos coutumes, celles-ci ne devraient pas travailler. Donc le palmier dattier nous a permis une évolution dans notre métier et une révolution dans notre mentalité ».

Le local d’abord, l’export ensuite

Malgré une évolution importante de la production durant les dernières années, les importations des dattes demeurent tout aussi importantes. Elles sont estimées en moyenne à 30.000T/an, en provenance principalement de l’Irak (40%), de la Tunisie (35%), de l’EAU (7,5%) et de l’Egypte (5%), d’après le département de l’agriculture. L’un des objectifs phares de la mise à niveau de la filière est de pouvoir arriver à un niveau de production capable de couvrir d’abord la demande nationale estimée à 105 000 tonnes/an avec une moyenne de 3,25 kg/habitant au niveau national, contre 15 kg/habitant au niveau des zones de production. Ensuite, la filière veut s’exporter vers l’international. C’est la vision justement de Belbachir qui ne cache pas ses ambitions d’aller, à moyen terme, à la conquête d’autres marchés. «Dans quelques années, les plantations dans la région seront bien développées. Il y a un surplus que le marché local, à lui seul, ne pourra absorber. Notre volonté est d’exporter vers des marchés très prometteurs tels que l’Australie ou encore la Chine et l’Inde, gros consommateurs des dattes ».

De son côté, Elarbaoui Naid veut, lui aussi, se lancer dans cette aventure, mais pas en faisant cavalier seul. «Nous sommes en train de nous organiser en regroupements pour constituer une force de frappe à l’international. Mais avant, nous sommes en phase de développer un label pour les produits de la région. Ce sera la première marque des Dattes au Maroc », nous confie t-il. Avant de renchérir, «un autre projet phare, en cours de réalisation, permettra la mise en place d’une fédération professionnelle qui regroupera toutes les régions productrices de dattes. Ceci nous permettra d’attaquer l’export avec des variétés différentes».

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