Faut-il croire en la sagesse tunisienne ?
Mireille DUTEIL

Si le parti islamiste Ennahda tient parole, ses responsables auront, à la fin du mois d’octobre, quitté le pouvoir en Tunisie. Ils ne dirigeront plus le gouvernement de coalition qu’ils président depuis leur victoire aux législatives du 23 octobre 2011. Car ils ont échoué. Politiquement d’abord. En deux ans, Ennahdha n’a pas réussi à élaborer un projet de gouvernement, ni à ramener l’ordre, ni à tenir en lisière les salafistes (responsables de l’assassinat de deux hommes politiques d’extrême gauche, dont un député), ni même à finaliser un projet de constitution capable de rassembler islamistes et laïques. Celle-ci aurait dû être votée en octobre 2012. Economiquement ensuite. Le pays est endetté, les caisses sont vides, l’inflation a doublé (environ 7%), les touristes ont déserté et les investisseurs aux abonnés absents. L’échec est patent. Mais c’est aussi un échec pour les Frères musulmans, qui, après l’Egypte, voient le premier pays où ils avaient emporté les élections de l’ « après-printemps arabes », être chassé du pouvoir.

Pourtant, la Tunisie n’est pas l’Egypte, les moeurs politiques y sont plus policées, l’armée y a peu de poids, aussi n’est-ce pas par un coup d’état militaire qu’Ennahda va quitter le pouvoir. Mais à la suite des manifestations répétées de la société civile et de l’opposition, et par la discussion. Tout peut encore capoter. Le texte signé le 4 octobre et prévoyant la démission du gouvernement et son remplacement par un nouveau cabinet a été longuement disputé. Le Congrès pour la république (CPR), le parti du président de la république, Moncef Marzouki, l’allié séculier des islamistes, a refusé de le parapher. Les faucons d’Ennahda ne veulent pas quitter le pouvoir et Rached Ghannouchi ne contrôle pas totalement son parti. L’opposition rassemblée au sein d’un Front de salut national est une auberge espagnole et certains s’opposent à toute discussion avec Ennahda. De plus, les uns, les islamistes, parlent d’un futur gouvernement d’ «union nationale» ; les autres, les laïcs, d’un gouvernement d’ « indépendants ».

Il y a pourtant de bonnes raisons de croire que la Tunisie va sortir de cette crise. Et que la feuille de route qui prévoit, à la fin du mois, un dialogue national entre tous, puis l’adoption d’une constitution et un calendrier fixant la date des élections présidentielle et législative, sera respectée même si elle doit connaître du retard. A chaque crise, les dirigeants tunisiens ont su s’arrêter au bord du gouffre et discuter. C’est en août, dans un hôtel parisien, au Bristol, loin des rumeurs de Tunis, que se sont retrouvées Rached Ghannouchi, le cheikh, fondateur et actuel président d’Ennahda, et Béji Caïd Ebsessi, 87 ans, ancien Premier ministre de la transition en 2011, et ex-ministre d’Habib Bourguiba. Les deux hommes sont aux antipodes. Ils ne s’apprécient guère, mais savent qu’à eux deux, leurs partis, Ennadha et Nida Tounes, représentent 65% des Tunisiens. Ils sont condamnés, au moins dans l’immédiat, à s’entendre et à trouver un modus vivendi pour éviter que le pays ne plonge encore plus dans la crise. Ils n’ont pas été seuls pour réussir leur rapprochement, des hommes d’affaires de part et d’autre les ont poussés à la discussion. Reste à espérer que la sagesse tunisienne ira à son terme.