Retraites et AMO : Jettou tire la sonnette d’alarme !

L’heure est grave. Le déficit des régimes de retraite ne cesse de s’aggraver et la gestion du régime de l’AMO pâtit d’un ensemble de dysfonctionnements. Il est temps d’agir de manière « décisive et urgente ».

Dans son exposé lors d’une séance commune des deux Chambres du parlement sur les activités des juridictions financières pour 2018, le premier président de la Cour des comptes Driss Jettou a mis le doigt sur les principaux dysfonctionnements du régime de l’AMO et de la retraite. « J’insiste sur l’urgence qui s’attache à une intervention décisive pour accélérer le rythme de la réforme de la retraite en vu d’éviter l’épuisement des réserves et son impact négatif sur la pérennité des régimes de retraite, l’épargne et le financement de l’économie », souligne t-il. Et d’ajouter : « J’ai eu l’occasion à travers mes précédentes interventions de présenter, de façon détaillée, la situation de ces caisses et les risques importants que représentent les indicateurs du déficit pour les équilibres des finances publiques. Cependant, à ce jour, les étapes suivantes de la réforme n’ont pas été enclenchées, notamment en vue de la création d’un pôle unique du secteur public répondant aux conditions d’équilibre, de pérennité et aux règles de bonne gouvernance ».

En chiffres, le déficit technique du régime des pensions civiles de la Caisse Marocaine des Retraites (CMR) a atteint à fin 2019 un total de 5,24 Milliards DH après 6 Milliards DH en 2018 et 5,6 Milliards DH au titre de l’année 2017. De même, ses réserves ont diminué à 75,9 Milliards DH. La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) connaît, pour sa part, une situation semblable bien que moins aïgue, alors que le Régime Collectif d’Allocation de Retraites (RCAR) enregistre un léger excédent technique ne dépassant pas 1 Million DH du fait de l’accroissement de ses recettes, en rela-tion avec l’augmentation des effectifs des adhérents. « De ce fait, les équilibres des trois caisses de retraites affrontent des risques croissants », alerte Driss Jettou.

Concernant l’AMO, Jettou note que les indicateurs fondamentaux au profit des salariés ont connu une évolution remarquable, qu’il s’agisse de l’extension des bénéficiaires dont les effectifs ont atteint à la fin de l’année 2018 près de 10,06 Millions de personnes, ou du volume global des prestations et travaux médicaux évalué à 8,98Milliards DH. Les missions de contrôle menées par la Cour ont relevé, toutefois , quel’Assurance maladie obligatoire a accusé des délais très longs pour la concrétisation de l’ensemble de ses composantes, outre un ensemble de dysfonctionnements relatifs à la gouvernance, à la couverture des dépenses de soins et à l’équilibre financier du régime.

Concrètement, sur le volet gouvernance du régime, la Cour observe que son cadre juridique reste incomplet dans la mesure où un ensemble de textes réglementaires nécessaires à la mise en œuvre des dispositions de la loi n° 65.00 portant code de couverture médicale de base n’ont pas été publiés après plus de 14 ans de la promulgation de cette loi. Ceci a impacté négativement la gestion du régime et n’a pas permis une saine application de ses dispositions. S’agissant de la généralisation de l’Assurance maladie obligatoire, il a été constaté que près de 900.000 personnes, jusqu’à l’année 2017 continuent de relever de régimes spécifiques et n’ont pas encore adhéré au système de l’AMO. Parmi cet effectif, 640.000 personnes se trouvent dans le secteur privé et le reste exerçant dans 32 établissements publics. Ceci est dû à certaines dispositions juridiques transitoires qui sont maintenues en vigueur, en l’absence de délais fixés pour leur abrogation. La deuxième catégorie de dysfonctionnements porte sur la couverture des dépenses médicales.

La Cour observe à ce sujet que l’AMO, dans sa situation actuelle ,ne permet pas le remboursement des frais relatifs à des prestations et dispositifs récents issus des innovations médicales du fait du déphasage avec le développement continu des sciences médicales et de l’absence d’une actualisation régulière de la nomenclature des actes médicaux. La troisième catégorie de dysfonctionnements concerne l’équilibre financier du régime.

La Cour a relevé sur ce volet que le régime d’assurance bénéficiant aux salariés du secteur privé a maintenu son équilibre sur la période de 2006 à 2018 ; mais cette situation peut changer au cours des prochaines années, sous l’effet de la hausse de la consommation des soins et prestations médicales ainsi que de l’augmentation prévisible des niveaux de la tarification nationale de référence. A l’inverse, le régime des fonctionnaires du secteur public enregistre une dégradation continue au cours de la période 2006-2018, l’année 2016 a vu l’apparition du premier déficit technique et qui a atteint près de 273 Millions DH en 2018. Cette situation est due principalement à la faiblesse des recettes ainsi que d’autres facteurs dont l’absence de révision des taux de cotisations depuis plus de 14 ans, le plafonnement du montant de la cotisation, à concurrence de 400 DH par mois quel que soit le niveau du salaire, la suppression de la contribution de l’employeur à l’admission du fonctionnaire à la retraite avec la baisse du taux de cotisation à 2,5 % et la dégradation du ratio démographique de couverture des adhérents actifs comparativement aux retraités et qui a régressé passant de 3,8 actifs pour un retraité en 2006 à 1,7 en 2018.

Ainsi, l’accroissement des dépenses du régime, surtout celles liées aux prestations de soins ainsi que celles relatives aux affections de longue durée et affections longues et coûteuses qui accaparent 50% des dépenses globales du régime. « Compte tenu de l’ensemble de ces données, le régime de l’AMO pour les fonctionnaires du secteur public ne pourra retrouver ses équilibres sans un relèvement progressif des taux de cotisation, prenant en considération les impacts financiers actuels et prévisibles des divers éléments de charges que supporte le régime, sur le court et moyen terme », déclare Jettou. En relation avec le système de santé publique, la Cour recommande de développer le système de santé préventive en vue de réduire les atteintes par les affections de longue durée et affections longues et coûteuses, développer l’offre de santé publique, renforcer son attractivité par l’amélioration de la qualité des prestations