Incapable d’agir, l’Europe regarde

BILAN Divergences et absence de vision stratégique bloquent toute défense européenne commune

Un petit pas vers l’union bancaire européenne et du sur-place pour l’Europe de la défense : six ans après la signature du traité de Lisbonne de 2007, l’Europe reste en devenir. Il aura fallu dix huit mois de tergiversations, et douze heures de négociations au finish ce 18 décembre, pour que l’année 2013 s’achève malgré tout sur une avancée dans l’intégration européenne avec un accord destiné à éviter une nouvelle crise de la zone euro. La mesure la plus « visible » assure une meilleure protection des dépôts des particuliers qui seront garantis jusqu’à 100 000 euros. Renoncement partiel à la souveraineté Compromis entre les pays du nord et du sud, cet accord organise l’union bancaire autour de deux pôles : la supervision des banques qui, à partir de fin 2014, ne relèvera plus d’institutions ou de régulateurs nationaux, mais directement de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui surveillera 130 banques. C’est une nouveauté qui implique un renoncement (partiel) à la souveraineté.

L’autre décision, qui vise à organiser la faillite éventuelle des banques de la zone euro, est moins nouvelle : le règlement des crises bancaires se fera par la recapitalisation ou la mise en faillite d’un établissement et démarrera en 2015. Quant au fonds unique européen - abondé par le secteur bancaire et servant notamment à organiser ces faillites ou financer les coûts de restructuration –, il fonctionnera progressivement à partir de 2016. Mais il ne sera opérationnel que dans une dizaine d'années. La prudence de cet accord -qui doit être entériné par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE et adopté par le Parlement européen avant les élections européennes de mai 2014 - s’explique par la persistance des divergences entre Paris et Berlin sur la coordination des politiques économiques dans la zone euro. Empêcher un effet domino menaçant la zone euro L’Allemagne est en effet opposée à la constitution d’un fonds public aidant directement une banque en difficulté et refuse - à l’inverse de la France - que la décision formelle de liquider une banque revienne à la Commission Européenne.

Au final, Berlin a eu gain de cause, tout en concédant quelques concessions à une France qui plaide pour plus de «solidarité financière» entre Européens. Les décisions du conseil de résolution entreront ainsi en application 24 heures après leur adoption, une rapidité permettant de résoudre le sort d'une banque en un week-end, avant la réouverture des marchés financiers … Ce compromis devrait rassurer un minimum les marchés et les épargnants : il consolide en effet le secteur bancaire pour protéger l’euro en empêchant que la gestion désastreuse de banques - comme ce fut le cas à Athènes, Madrid, Chypre ou Dublin - ait un effet domino et rejaillisse sur les finances de tous les Etats de la zone euro, menaçant sa survie. Solitude française au Mali et en Centrafrique Ces petits pas en faveur de l’union monétaire sont loin d’avoir eu leur équivalent dans le domaine de la défense commune lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre à Bruxelles. La solitude française au Mali puis en Centrafrique ou la difficulté à développer une action commune pour lutter contre la piraterie et les trafics maritimes en témoignent autant que la fin de non recevoir opposée à la demande du président français François Hollande de créer un « fonds permanent » pour les opérations extérieures.

Cette question, pourtant décisive, fera l’objet d’un …rapport qui sera examiné «au premier semestre 2014» ! En réalité, ce problème patine depuis la fin des années 1990 en raison des divisions des Européens et de l’absence totale de vision stratégique commune. Les raisons sont multiples : la concurrence des industries nationales ; une opinion très majoritaire au sein de l’UE selon laquelle il n’existe pas de réelle menace sur l’Europe et l’idée, moins avouable, que la meilleure protection reste celle des Etats-Unis… Refus britannique Une chose est sûre : l’absence de perception stratégique commune empêche tout programme d’équipements militaires à long terme. Le Premier ministre britannique David Cameron l’assume sans ambages. « Il est sensé pour les nations de coopérer dans le domaine de la défense afin d'assurer notre sécurité. Mais il n'est pas bon pour l'UE de se doter de capacités communes, d'armées, de moyens aériens et du reste », a-t-il lancé.

Londres insiste en fait sur le développement des capacités civiles de l’UE de stabilisation des crises, tandis que l’Allemagne ne laisse pas d’étonner en affichant un pacifisme à tout crin et une industrie de défense puissante et …exportatrice !Des postures qui laissent la France bien isolée et renvoient évidemment aux calendes tout étatmajor européen commun. La crise en Ukraine illustre parfaitement cette impuissance européenne. Alors qu’une grande partie des Ukrainiens réclament un rapprochement avec l’UE, Moscou a réussi à diviser, à coup d’aide économique, les rangs d’une contestation qui exige aussi le départ du président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Face à cela, il ne reste plus à une UE désemparée qu’à adresser un « message de soutien au peuple ukrainien » et à répéter qu'elle est toujours prête à signer un accord avec Kiev. Une ambition sérieusement revue à la baisse.