Dans le grenier de Yves Rocher

«C’est ici qu’est née l’entreprise Yves Rocher », souligne, avec lyrisme, Auguste Coudray. Le directeur des relations publiques de Yves Rocher nous invite dans une maison construite en pierres qui sent l’histoire depuis la serrure de sa porte bleue à sa toiture en ardoise. Monter les marches de l’escalier en bois de cette demeure sise Rue Saint-Vincent au coeur de la commune de la Gacilly (département breton du Morbihan, à une soixantaine de kilomètres de Rennes) donne l’impression de remonter le temps. En arrivant au deuxième étage, on se retrouve dans le fameux grenier où une extraordinaire aventure a commencé. C’est ici que Yves Rocher, alors âgé de 14 ans seulement, a fait ses premières armes d’entrepreneur. Il venait tout juste de perdre son père. La vente de quelques tissus que s’évertuait à fabriquer sa maman ne l’ayant pas satisfait, il a eu la bonne idée de racheter la recette d’une vieille guérisseuse pour fabriquer une pommade qu’il a enrichie d’extrait de racines de ficaire. Dans le grenier de la maison familiale, on voit encore les outils rudimentaires qu’il utilisait pour préparer cette mystérieuse crème. Pour promouvoir son produit, il se payait des petites annonces dans Ici Paris. Son succès était fulgurant, au point qu’il a dû multiplier les recrutements et abandonner son grenier, pour construire sa première usine à la place d’un moulin dans sa Gacilly natale à laquelle il est resté attaché le long de sa vie. Les quelques procès pour publicité mensongère n’ont pas découragé le jeune entrepreneur. Au contraire, en 1959, à peine âgé de 29 ans et fort de la longue expérience acquise grâce à la vente de sa crème à la ficaire, Yves Rocher se lance dans la fabrication et la vente, par correspondance, de produits cosmétiques naturels. Son pari était risqué. C’était un homme, breton de surcroît, qui voulait vendre des produits visant à rendre plus belles des femmes parisiennes et concurrencer ainsi des gammes bien ancrées dans les habitudes de consommation de l’époque. Sauf qu’il est arrivé sur le marché avec des produits inédits, à base végétale et donc naturelle, et c’est ce qui a fait sa réussite. En plus, Yves Rocher tenait à répondre personnellement à certaines clientes qui lui écrivaient. Il se faisait ensuite un point d’honneur d’adapter ses produits aux attentes exprimées. Même s’il a été très tôt déscolarisé, il excellait dans le marketing direct qui fait encore aujourd’hui la force de la marque. Suit alors l’ouverture d’un premier magasin au célébrissime boulevard Haussmann à Paris suite aux grèves de 1968 ayant paralysé la poste et donc la vente par correspondance. Suivent aussi le développement à l’étranger avec la Belgique comme point de départ (1979) puis la Suisse, la construction du site dédié au soin du corps à la Gacilly (1969), la construction du site de Rieux dédié aux produits de maquillage (1978) et la construction en 1982 du site de Ploermel (parfum). Ce faisant, Yves Rocher réussissait également en politique. Elu maire de la Gacilly en 1962, il avait occupé ce poste 46 ans durant sans discontinuer, avant de passer le flambeau en 2008 à son fils Roger.

Tout est dans le business modèle

Le crédo de Yves Rocher a toujours été de vendre ses produits à un bon prix et au plus grand nombre, mais en les fabriquant lui-même et en les livrant directement aux clientes finales. Aujourd’hui encore, l’entreprise dispose de 55 hectares où fleurissent chaque printemps Arnica, Calendula, Capucine, Bleuet, qui entrent dans la composition de différents produits de beauté de la marque. « 20 espèces de plantes sont cultivées, produisant l’essentiel de nos besoins pour nos produits chaque année », souligne Xavier Ormancey. Dirigeant le géant centre de recherches de la marque, ce dernier parcourt le monde à la recherche de plantes encore inexploitées et dont les principes actifs pourraient servir à la création de nouveaux produits. Il affirme avoir séjourné dernièrement au Maroc où la marque s’intéresse beaucoup à l’huile d’argan. Tout cela fait que le business modèle de Yves Rocher demeure unique en son genre. En se passant d’intermédiaires et de sous-traitants pour la fabrication de ses produits, dont il contrôle entièrement la production et la qualité, la marque peut ainsi maîtriser ses coûts et donc ses marges. Ce modèle, devenu encore plus sophistiqué aujourd’hui, reste de mise, avec une parfaite maîtrise, de bout en bout, de la logistique. En 2002, l’entreprise a construit sa propre plateforme de logistique internationale où transitent chaque année pas moins de 300 millions de produits destinés à l’export dans le monde entier. Par la même occasion, des camions à barres ont été mis en circulation et ont permis d’économiser 1,6 millions de kilomètres, soit plus de 40 fois le tour de la Terre. Dirigé actuellement par Bris Rocher, petit-fils du fondateur, l’entreprise pèse aujourd’hui plus de 2 milliards d"euro et emploie plus de 15.000 personnes. Elle demeure familiale puisqu’elle est toujours contrôlée à 97% par les Rocher et continue à se concentrer quasi entièrement sur son corps de métier : la cosmétique végétale en étant botaniste, récoltant et fabricant, mais aussi distributeur. Par ailleurs, l’entreprise dispose d’un hôtel de 29 chambres, tout près de la Gacilly. Son nom « La Grée des Landes » en dit long sur l’esprit bio qui règne dans cette maison d’hôte 100% écologique. On y mange ce qui est cultivé dans le potager voisin et on y profite d’un Spa où sont utilisés des produits naturels. La fidélité au territoire de naissance de la marque est aussi l’un des secrets de sa fulgurante réussite, la préservation de la nature aussi. La Fondation Yves Rocher a été créée en 1991 à cet effet à l’initiative de Jacques Rocher, fils d’Yves Rocher. Active dans plus de 50 pays dans le monde, cette organisation oeuvre pour un « monde plus vert » au travers de deux actions phares : le Prix Terre de Femmes et l’opération « Plantons pour la Planète ». Au Maroc, on lui doit notamment la plantation de milliers d’arganiers. Au vu de cette success-story, on comprend donc la passion qui anime des collaborateurs, comme Auguste Coudray, quand ils parlent de leur marque ❚